par Benoit Labonté et David Pecaut Benoit Labonté est président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ; David Pecaut est partenaire du Boston Consulting Group et président du Toronto City Summit Alliance. Les auteurs sont aussi membres du Comité consultatif externe sur les villes et les collectivités, créé récemment par le premier ministre du Canada. Au cours des deux dernières années, les enjeux urbains au Canada ont cessé d'être des questions purement locales pour enfin occuper le devant de la scène nationale canadienne. Cette semaine, à Montréal, les dirigeants des 22 villes canadiennes les plus populeuses se réunissent afin d'échanger sur les besoins des agglomérations urbaines canadiennes. Les préoccupations des villes commencent à être entendues. Ainsi, le dernier budget fédéral comportait un remboursement complet de la TPS aux municipalités, représentant 7 milliards $ pour les dix prochaines années. Par ailleurs, dans le cadre de la présente campagne électorale fédérale, le Parti libéral, le Parti conservateur et le Nouveau parti démocratique s'engagent tous à céder aux villes une partie de la taxe fédérale sur l'essence pour financer les infrastructures municipales. Mais en dépit de la rhétorique actuelle à propos d'une nouvelle entente, les progrès réels ont été plutôt lents et le débat semble vouloir se résumer à une discussion relative au financement des infrastructures. Nous risquons, dans le cours d'un tel exercice, de laisser passer l'occasion de réinventer véritablement nos grandes villes. L'une des raisons de ce ralentissement tient au fait que les intervenants n'ont pas encore une vision claire et commune des enjeux en cause. Parmi les multiples « défis urbains » qui se posent, certains sont propres aux métropoles, alors que d'autres s'appliquent plutôt aux municipalités de moindre envergure. Certains autres, par ailleurs, sont communs à l'ensemble mais à des degrés d'urgence variables. Mais même lorsqu'on s'entend sur la nature des enjeux, comme c'est le cas pour la nécessité d'un financement accru des infrastructures, des désaccords subsistent quant à l'attribution des responsabilités. Deuxièmement, le caractère très hétérogène des villes canadiennes fait en sorte que leurs priorités sont souvent différentes, même si elles sont pressées de présenter un front uni et un ensemble unique de revendications. Par exemple, Montréal, à l'âge vénérable de 362 ans, est beaucoup plus préoccupée par la mise à niveau de son réseau désuet de distribution d'eau que peut l'être une ville comme Calgary, davantage préoccupée par la construction d'un réseau de transport capable de soutenir sa croissance rapide. Autrement dit, pour être couronnée de succès, une stratégie de développement urbain au Canada devra reconnaître qu'il n'y a pas de « taille unique ». À cet égard, il existe des occasions extraordinaires pour Toronto et Montréal de travailler plus étroitement ensemble, dans la mesure où elles constituent les deux plus importantes agglomérations urbaines au Canada. En raison de leur taille, de leur âge, de leur situation géographique et de leur histoire, Montréal et Toronto partagent beaucoup de défis communs. Ainsi, elles doivent stimuler leur croissance économique par l'excellence de leurs systèmes d'éducation et de formation, tout en cherchant à attirer et à retenir les immigrants qualifiés provenant de toutes les parties du monde. Les deux villes sont également aux prises avec des problèmes de congestion routière et la nécessité d'élargir leurs réseaux de transport en commun, de réduire la pollution, de faire face à l'itinérance et d'avoir accès à des sources de financement récurrentes afin de renouveler des infrastructures désuètes. Du même souffle, elles adoptent de nouvelles approches de développement économique et urbain fondées sur la revitalisation d'anciens quartiers industriels, la valorisation des espaces naturels en milieu urbain et le soutien à la vitalité et à la diversité culturelle en tant que puissant levier de développement. | Toronto et Montréal ont toutes deux tenu, au cours des deux dernières années, des Sommets rassembleurs réunissant des chefs de file de tous les milieux de la société civile. Chacun de ces sommets a été l'occasion d'examiner de nouvelles idées stimulantes afin de faire face à certains problèmes émergents. Toronto, par exemple, a mis sur pied un Conseil d'immigration qui appuie de nouveaux programmes innovateurs susceptibles d'accélérer et de faciliter l'entrée d'immigrants qualifiés sur le marché du travail, ainsi qu'une Alliance de la recherche afin d'accroître les investissements de haute technologie dans la région. De son côté, Montréal a créé la Société du Havre, qui a mis de l'avant un plan concerté de développement des espaces urbains situés aux abords du fleuve Saint-Laurent et est maintenant à la recherche de moyens innovateurs pour financer ce projet. Les deux villes peuvent donc apprendre énormément l'une de l'autre. Toronto et Montréal sont également en train de réinventer leur économie en accordant une importance accrue à la haute technologie dans des secteurs tels que la recherche pharmaceutique, les biotechnologies, les communications et l'informatique, ainsi que dans des industries à forte croissance urbaine comme le tourisme international. D'un point de vue mondial, le corridor qui s'étend de Toronto à Montréal, en passant par Ottawa, représente une seule et même région de haute technologie. Il existe d'immenses possibilités de mise en marché de ce corridor de haute technologie au plan international pour les investisseurs traditionnels et les sociétés de capital de risque. Les investissements croisés entre sociétés de capital de risque et anges investisseurs tout au long du corridor Montréal-Ottawa-Toronto présentent également un excellent potentiel. Parmi les autres secteurs intéressants de collaboration entre Montréal et Toronto figurent en outre le marketing touristique international, l'amélioration de services ferroviaires entre les deux villes et l'établissement de liens entre nos centres de recherche de pointe. Nos deux régions métropolitaines représentent 25 % de la population canadienne. Il est donc essentiel que nos élus, nos communautés d'affaires et nos leaders de la société civile livrent un message ferme et concerté sur les politiques nationales qui s'imposent pour réinventer nos villes. Il y aura toujours des défis particuliers à relever dans chacune de nos villes, mais nos défis communs transcendent clairement nos différences. Le dernier quart de siècle a été marqué par la « rivalité » entre nos deux grandes métropoles. Or, le 21e siècle doit se distinguer comme celui de la collaboration entre Montréal et Toronto. Ensemble, nos deux villes sont en mesure d'assumer un leadership puissant au profit de leur croissance économique mutuelle et de partager les retombées de l'innovation, au plan social et économique, dans tous les secteurs de leur agglomération respective. Il n'est pas nécessaire, pour ce faire, de s'appuyer sur de lourdes structures ou sur des ententes officielles. Il s'agit simplement de modifier les mentalités et de se rejoindre ¾ c'est-à-dire de nous considérer comme les joueurs d'une même équipe ¾ pour paver la voie à une collaboration accrue et féconde. En exerçant un solide leadership commun, Montréal et Toronto peuvent jouer un rôle déterminant pour propulser le Canada dans l'économie urbaine du 21e siècle. |