Notes pour l'allocution d'ouverture de
Mme ISABELLE HUDON
Présidente et chef de la direction
Chambre de commerce
du Montréal métropolitain
À l'occasion du colloque de
L'Institut d'administration publique
du Grand Montréal (IAPGM)
Montréal, le 29 avril 2005
Mesdames et messieurs les sous-ministres,
Madame la présidente de l'IAPGM,
Mesdames et Messieurs, Bonjour !
Je suis très heureuse et reconnaissante de l'invitation faite par l'IAPGM de me joindre à cette assemblée pour partager avec vous quelques constats et réflexions sur la nécessité d'accroître la complémentarité entre Montréal et le reste du Québec.
À bien des égards, ce colloque se prête bien à des échanges sur le sujet de la complémentarité, car cet événement regroupe des universitaires, des administrateurs publics et des représentants du milieu des affaires ! Cela confirme que le fait d'avoir des perspectives possiblement différentes ou distinctes ne constitue en rien un obstacle à l'identification d'intérêts communs.
Les relations entre la métropole et les régions du Québec constituent un sujet tout aussi délicat qu'important. C'est un thème pour lequel les tensions sont fréquentes, voire omniprésentes, et cela s'explique d'abord par le fait que le point de vue que l'on a sur cette relation varie selon que l'on réside à Montréal ou en région.
Au cours des prochaines minutes, j'aimerais toucher à trois aspects de cette relation «particulière» :
- la « rivalité » et l'inconfort québécois à l'égard de sa métropole;
- les défis économiques que nous partageons malgré toutes nos différences;
- et la nécessité que le Québec s'approprie le développement de sa métropole.
La rivalité et l'inconfort
Quel sujet fascinant et parfois désespérant que les relations compliquées qu'entretient le Québec avec sa métropole
et vice-versa !
Je vais délaisser pendant quelques instants ma fonction de présidente de Chambre de commerce, pour vous exposer ma vision d'anthropologue amateure sur ces relations complexes.
Personne dans cette salle n'aurait le réflexe d'identifier la municipalité de Deschambault comme étant une destination exotique
typiquement québécoise, il va s'en dire ! Et pourtant, c'est ce qui m'a frappée lorsque mes collègues et moi avons effectué récemment une visite à l'aluminerie d'Alcoa, installée dans cette région depuis plusieurs années.
On qualifie normalement d'exotique ce qui vient d'un pays lointain, ou encore quelque chose dont les caractéristiques présentent des différences marquées avec ce qui est, pour nous, habituel dans notre cadre de vie quotidien.
À cette définition, l'anthropologue amateure ajoute la nuance suivante : ce qui est perçu comme exotique est d'abord influencé par la personne qui regarde, parce que c'est cette personne qui, au fond, décide ce qui, à ses yeux, lui semble « différent ». Ce qui tend à compliquer les choses, c'est que les différences se perçoivent généralement plus facilement que les similarités surtout si on s'attend à être placé devant quelque chose de différent.
Ainsi, depuis le temps qu'on dit que les régions et Montréal ne connaissent pas les mêmes réalités, on en vient à oublier de reconnaître les aspects :
- géographiques,
- sociologiques,
- économiques,
- démographiques
- et culturels que nous avons en commun.
Même si mes collègues et moi n'étions qu'à seulement deux heures de Montréal, nos hôtes de Deschambault nous ont confié qu'ils se « sentent bien loin de Montréal ». À vrai dire, ils étaient surpris de constater que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain s'intéressent à ce qu'ils font et cela, même s'ils reçoivent à longueur d'année des visiteurs qui s'intéressent à leur aluminerie et qui proviennent de partout dans le monde !
Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, mais j'ai la certitude que la population de Montréal et celle des autres régions du Québec se regardent trop souvent comme si l'une et l'autre vivaient dans des contrées exotiques : ces personnes perçoivent avec tellement d'acuité leurs différences respectives, qu'elles tendent à les exagérer au point d'en oublier leurs similitudes et leurs intérêts communs.
C'est ce qui, à mon avis, explique le sens de commentaires parfois simplistes et chauvins comme :
-
« Montréal est riche et n'a besoin de rien » ou encore;
-
« Les régions ne sont que des gouffres à subventions ».
Mine de rien, ce genre de remarques s'est incrusté subtilement et solidement dans l'inconscient collectif et ces commentaires ont, avec le temps, alimenté et amplifié ce qu'il convient d'appeler communément : la rivalité entre «Montréal et le reste du Québec».
Ce qui est malheureux, en considérant l'état actuel de cette rivalité intra-québécoise, c'est qu'elle est tout
sauf « saine ». La stratégie du gouvernement du Québec, connue sous le titre de « Briller parmi les meilleurs », nous en fourni un bon exemple.
Imaginons un bref instant que le Québec soit une équipe sportive. Peu importe le sport, peu importe le niveau, du moment où un entraîneur veut que son équipe brille parmi les meilleurs, personne ne se surprendra que la performance de son meilleur compteur fasse partie de ses principales attentes en terme de leadership
et de résultats.
Si tous et chacun considèrent ce raisonnement logique, alors ramenons-le à la dimension :
- économique,
- démographique,
- sociologique
- et culturelle de l'ensemble des régions du Québec.
Pour toutes les raisons que nous connaissons et qui sont incontestables sur le plan statistique, la métropole se qualifie pleinement pour assumer ce rôle de leader.
Et pourtant
Pour briller parmi les meilleurs, la stratégie du gouvernement propose d'accélérer le développement rural et des régions. Qu'en est-il de la métropole et des milieux fortement urbanisés ? Des mots tabous.
Dans la même veine, le dernier budget ne fait aucune mention du rôle névralgique de Montréal dans la création de richesse au Québec. Même si on sait très bien que lorsque Montréal performe à tous égards, c'est tout le Québec qui en bénéficie.
Bref, le malaise québécois face à sa métropole est tel que plusieurs préfèrent tout simplement ne pas en parler, comme si le sous-entendu suffisait à en exploiter le plein potentiel. Or, à force de ne pas inclure la métropole dans le vocabulaire politique courant du Québec, on freine la modernisation de certaines structures et façons de faire qui nuisent à son développement.
Ainsi, même si économiquement et politiquement grâce à la CMM la région métropolitaine se vit de plus en plus quotidiennement comme une seule et même région, le gouvernement du Québec persiste à envisager son développement selon les bonnes vieilles régions administratives :
- la « 06 », mieux connue sous le nom de Montréal,
- la « 13 » pour Laval,
- et quant à Longueuil, même si elle est branchée au réseau de métro, elle fait partie de la Montérégie, en compagnie de Sorel, Granby et Venise-en-Québec !
Malgré tout, des défis communs
Plus important encore, la rivalité sous-jacente aux rapports entre Montréal et les autres régions a aussi pour effet malheureux d'occulter bien des points que nous avons en commun. Et cela est particulièrement vrai quand il s'agit des défis économiques.
Deux de ces défis me viennent particulièrement en tête :
- la mondialisation des marchés;
- l'attraction et la rétention des talents.
À l'échelle internationale, Sept-Îles et Montréal sont des régions collées l'une sur l'autre et font partie d'un seul et même petit marché qu'on appelle le Québec. Ainsi, les entreprises de la Côte-Nord font face aux mêmes défis que celles du parc industriel de l'arrondissement Saint-Laurent.
Par exemple :
- leurs concurrents sont généralement des entreprises internationales;
- l'évolution du dollar aura, encore une fois cette année, une grande influence sur leur profitabilité.
Pour être compétitifs sur les marchés mondiaux, toutes les entreprises québécoises doivent relever le défi de la productivité et de l'innovation.
Ce fut d'ailleurs l'un des aspects particulièrement remarquables de ma visite à Deschambault : l'obsession de la productivité et de l'efficacité des responsables de l'usine n'avait rien d'exotique ! Aussi, malgré l'impression que « les gens de Montréal ne comprennent pas toujours la réalité des régions », j'ai pu rapidement me rendre compte que, lorsqu'il s'agit de parler de compétitivité, nous parlons exactement le même langage, en plus d'être exactement sur la même longueur d'ondes.
Le commerce international est désormais une composante fondamentale de la prospérité des entreprises québécoises, où qu'elles soient. Aussi les relations « pan-québécoises » en matière d'exportation sont l'une des choses en laquelle nous avons toujours cru à la Chambre. Non seulement avons-nous toujours voulu donner accès à nos services d'appui aux entreprises de tout le Québec, mais encore nous avons été à même de constater que les marchés étrangers sont un terrain fertile où développer des collaborations interrégionales.
À un autre niveau, les intérêts communs des entreprises québécoises actives sur les marchés internationaux font qu'elles ont toutes un intérêt dans le rayonnement international
de Montréal.
Qu'on le veuille ou non, Montréal est le passage presque obligé pour quiconque au Québec veut être actif sur les marchés extérieurs. Et il est dans l'intérêt de tous ceux qui veulent y accéder, que Montréal puisse faciliter le plus possible leurs démarches vers l'étranger.
De plus, il ne faut pas oublier que les initiatives qui contribuent à améliorer le positionnement international de Montréal servent aussi les autres régions du Québec parce que, quitte à le répéter, c'est souvent via Montréal qu'on accède au reste du monde ou que le reste du monde accède à l'ensemble du Québec.
Un autre défi que partagent tous les endroits du Québec, sans exception, est la nécessité de former, d'attirer et de retenir le talent. C'est le talent qui est derrière la recherche qui produit l'innovation. C'est le talent qui génère la bonne idée qui est à l'origine d'une réussite commerciale. C'est aussi le talent qui s'exprime dans le savoir-faire, par exemple, d'un bon gestionnaire.
Ainsi, du talent, on en a besoin partout. Et l'offre ne suffit pas à la demande.
En 2016, la croissance nette de la main-d'uvre du Québec sera à 100 % assurée par l'immigration. Le défi du talent en est donc un autre qui est commun à toutes les régions du Québec, mais à la différence que toutes sont aussi en concurrence directe les unes par rapport aux autres. Et il est vrai qu'en ce domaine, Montréal peut sembler une rivale de taille.
Néanmoins, je persiste à croire que même pour l'attraction du talent, il est dans l'intérêt de toutes les régions du Québec de travailler ensemble.
Premièrement, que Montréal soit la rivale des autres régions québécoises en matière d'attraction du talent est essentiellement une illusion d'optique. Les phénomènes qui amènent jeunes, immigrants et autres à se diriger vers la région métropolitaine transcendent largement notre réalité québécoise. Ce mouvement vers les milieux urbains se vit aussi ailleurs au pays et dans le monde. À elles seules, les cinq plus grandes agglomérations canadiennes, dont Montréal, comptent pour plus de 40 % de la population canadienne. Ainsi, je doute qu'il soit possible d'altérer significativement ces tendances de fond.
S'il y a des mouvements que l'on peut réellement influencer, ce n'est pas à l'échelle québécoise, mais dans les mouvements internationaux de talents. Encore une fois, c'est tout le Québec qui gagne quand des individus talentueux choisissent Montréal plutôt que Toronto, Londres ou New York. On peut certainement tenter de séduire certains d'entre eux au point de les attirer ailleurs qu'à Montréal. Mais du moment où la séduction devient contraignante, nous nous tirons carrément dans le pied si le talent décide finalement d'aller ailleurs.
Dans la même veine, je m'explique mal la différenciation faite entre les universités montréalaises et d'ailleurs au Québec pour ce qui est du droit des étudiants étrangers à travailler hors campus. Dans la mesure où l'acquisition d'une expérience québécoise de travail constitue un facteur majeur facilitant l'intégration des nouveaux arrivants, pourquoi se priver de la possibilité de semer, parmi les 25 000 étudiants étrangers qui sont à Montréal, l'envie de demeurer parmi nous une fois leurs études terminées ?
Pour créer artificiellement un attrait supplémentaire aux universités à l'extérieur de Montréal ? Je crains que nous en perdrons beaucoup plus à Ottawa et à Calgary que nous en gagnerons à Bishop ou à Trois-Rivières.
Au Québec de s'approprier le développement de sa métropole
En fin de compte, l'un des impacts concrets et négatifs de la rivalité intra-québécoise est qu'il est de plus en plus difficile d'évaluer un projet ou une décision gouvernementale sur la seule base de son mérite.
L'expression de scepticisme est facilement associée à une attitude anti-région avec, comme résultat, que la notion de rendement sur les investissements publics est de plus en plus marginalisée dans les débats autant que dans les décisions.
Un exemple frappant de cela est la décision attendue de la part du gouvernement du Québec sur la distribution et l'utilisation des revenus de la taxe sur l'essence que vient de lui transférer le gouvernement du Canada.
Comment répartir les millions ?
Si les Québécois se comportaient collectivement comme les actionnaires d'une entreprise, cette décision serait relativement simple : quels sont les investissements qui permettront la plus grande création de richesse et qui contribueront le plus, à moyen et à long terme, à accroître la capacité du gouvernement d'investir ailleurs ?
Si tel était le cas, je suis convaincue que nous n'aurions pas besoin de débattre longtemps de la pertinence de consacrer une part significative des sommes disponibles pour des investissements dans les infrastructures de transport en commun et, conséquemment, d'investir un peu plus à Montréal. D'ailleurs, une étude que nous avons réalisée récemment démontre que dans la région métropolitaine de Montréal, les gouvernements provincial et fédéral tirent conjointement un rendement de 45 % sur les sommes qu'ils investissent en transport public.
En bout de ligne, je serais portée à dire que si, comme Québécois, nous faisions l'évaluation de notre performance économique avec le même regard qu'une assemblée d'actionnaires, nous ferions rapidement le constat suivant : le Québec ne tire pas assez profit de sa Métropole. Car si Montréal peut avoir l'air riche dans le contexte québécois, elle a plutôt l'air du parent pauvre lorsqu'elle est comparée aux 26 plus grandes agglomérations urbaines d'Amérique du Nord, pour ce qui est du revenu brut par habitant.
Plus que la disparité de la richesse entre les différents niveaux de gouvernement, je suis d'avis que les difficultés financières du gouvernement du Québec ont d'abord à voir avec une création insuffisante de richesse au Québec, et que cette création insuffisante origine en grande partie du fait que son moteur économique ne tourne pas à plein régime.
Ce qui m'amène à formuler le souhait que le Québec, d'Est en Ouest, s'approprie le développement de Montréal. Que le Québec parle de sa métropole au même titre qu'il parle de sa capitale nationale. Que l'on considère Montréal comme une richesse collective pour les Québécois, comme le pétrole en est une pour les Albertains. Et que l'un des mandats fondamentaux de tout gouvernement québécois soit d'en tirer le maximum de bénéfices.
Bref, même si certains n'ont pas souvent l'occasion d'y mettre les pieds, j'aimerais que tous les Québécois regardent la performance économique de Montréal comme on regarde le rendement de ses placements et qu'ils s'inquiètent de voir qu'elle ne performe pas aussi bien que d'autres.
S'approprier le développement de la métropole, cela veut aussi dire que les régions du Québec devraient y recourir davantage pour appuyer leur développement. Montréal devrait être utilisée comme la vitrine privilégiée de tous les produits et savoir-faire que l'on trouve dans les différentes régions. Quelle meilleure occasion, pour les gens de La Pocatière, de faire la démonstration de leur talent et de leur génie que de fabriquer la nouvelle génération des wagons du métro de Montréal !
Et loin de voir cela comme une intrusion, je suis certaine que les Montréalais se réjouiraient de voir leurs concitoyens du Québec leur en demander davantage. Car jamais, à ma connaissance, la région métropolitaine de Montréal n'a remis en question sa contribution à la richesse collective québécoise et au développement des régions.
Quand Montréal réclame sa part des investissements publics, c'est parce qu'elle souhaite combler les besoins nécessaires à son développement; ce n'est pas pour le garder, mais bien pour l'investir. Et quand Montréal réussit à jouer son rôle de locomotive économique, qu'elle permet au gouvernement du Québec d'avoir une capacité accrue de redistribution grâce aux 25 milliards que la région métropolitaine apporte dans ses coffres Montréal est surtout fière de sa contribution.
Si Montréal est un pôle international majeur sur le plan consulaire, il n'est pas faux de prétendre que cette ville et cette région métropolitaine comprennent également un nombre impressionnant d'ambassadeurs régionaux. Allez-y, faites enquête autour de vous, et vous serez surpris de constater le nombre de Saguenéens, de Gaspésiens, de Québécois, de Beaucerons qui vivent aujourd'hui à côté des Montréalais « pur-béton ». Tout cela pour dire que Montréal est bien plus québécoise qu'on ne le laisse croire.
Aussi, si tous et chacun recherchaient un objectif commun axé sur la rentabilité économique et le retour sur l'investissement public à l'échelle nationale, il va de soi que tout le Québec s'approprierait le développement et le rayonnement de sa métropole.
En d'autres mots, non seulement le Québec en aurait pour son argent, mais il sera encore plus surpris de constater à quel point sa métropole lui ressemble et lui rapporte.
Je vous remercie.