ALLOCUTION DE MONSIEUR GLENN O'FARRELL,
PRÉSIDENT ET CHEF DE LA DIRECTION DE L'ASSOCIATION CANADIENNE DES RADIODIFFUSEURS
DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE
DU MONTRÉAL MÉTROPOLITAIN
Le 27 novembre 2003
Seule la version prononcée fait foi
Monsieur le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain,
Distingués invités de la table d'honneur,
Mesdames, Messieurs,
Je remercie chaleureusement la Chambre de commerce du Montréal métropolitain pour cette prestigieuse tribune qui m'offre l'occasion de m'adresser à un auditoire de gens d'affaires triés sur le volet. Votre présence ce matin témoigne d'ailleurs d'un intérêt évident pour notre industrie.
Permettez-moi d'abord de vous présenter brièvement l'Association canadienne des radiodiffuseurs, que j'ai le privilège de présider depuis deux ans, et de vous dire quelques mots au sujet de notre industrie.
Fondée en 1926, l'Association canadienne des radiodiffuseurs est le porte-parole national des radiodiffuseurs privés du Canada. Nous représentons la grande majorité des services de programmation privés canadiens, y compris les stations de radio et de télévision, les réseaux, ainsi que les services de télévision spécialisée et payante.
Notre association compte 106 membres au Québec sur un total de 583 membres à travers le Canada.
Les radiodiffuseurs privés jouent un rôle important dans la prospérité économique du pays en investissant un milliard de dollars par année dans la programmation canadienne, générant ainsi plus de 40 000 emplois directs et indirects.
Partout au pays, les Canadiens et les Canadiennes peuvent compter sur des radiodiffuseurs qui ont la passion de leur communauté et qui ont à cur de produire des émissions canadiennes. Les radiodiffuseurs sont fiers de contribuer à la promotion de la culture canadienne et québécoise, que ce soit dans le sport, la culture, l'information ou tout autre domaine.
Grâce aux émissions très populaires comme Star Académie, Phénomia, Flash et Canadian Idol, ainsi qu'aux bulletins de nouvelles, aux émissions locales et aux émissions consacrées aux affaires canadiennes, une identité canadienne s'est forgée dans le secteur de la radiodiffusion, celle-ci faisant entendre les voix et tenant compte des choix des Canadiens.
L'histoire montre clairement la volonté des radiodiffuseurs privés du Canada de faire les investissements nécessaires, de s'adapter aux nouvelles circonstances et aux nouveaux défis, et de prendre l'initiative de bâtir notre système de radiotélévision. Notre volonté de réussir n'a pas diminué.
En cette période de transition vers un nouveau gouvernement à Ottawa, nous devons convaincre les élus et les décideurs de reconnaître nos défis. Nous devons aussi les convaincre de travailler de concert avec les radiodiffuseurs pour faire évoluer le cadre réglementaire et le rendre conforme à la réalité.
Et nous devons aussi entretenir un dialogue avec le nouveau gouvernement du Québec pour le sensibiliser à l'égard de mesures budgétaires à contre-courrant dont il a hérité du gouvernement précédent.
Les radiodiffuseurs privés sont le pilier du système
Ce processus de réforme doit prendre en compte les nouvelles réalités comme point de départ. En 2003, les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs privés sont les principaux acteurs du secteur canadien de radiodiffusion. La radio privée occupe plus de 80 % du marché de la radio. La télévision privée, y compris la télévision canadienne payante et spécialisée, détient plus de 80 % du marché de la télévision canadienne et plus de 70 % du marché des émissions canadiennes.
Ces parts de marché ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont le résultat de décennies de travail acharné, d'investissements importants et d'une volonté de créer des vedettes canadiennes, de raconter des histoires canadiennes et de favoriser la diversité qui caractérise le Canada.
Cette volonté se traduit par les stations de radio privées d'un bout à l'autre du pays qui diffusent des chansons canadiennes plus de 50 000 fois par semaine.
Cette volonté se traduit aussi par les stations de radio privées qui continuent de financer FACTOR, Musicaction, le Radio Starmaker Fund et le Fonds RadioStar, qui visent à mettre de nouvelles musiques sur les ondes et à créer de nouvelles vedettes.
Les Canadiens de toutes les régions du pays comptent sur les radiodiffuseurs privés pour s'informer, s'inspirer et se divertir.
Plus que jamais, les émissions reflétant les voix et les choix des Canadiens sont appelées à remplir une mission nationale. Nos voix doivent rester fortes, pertinentes et vouées à créer des liens entre les Canadiens dans leur chez soi, ainsi que dans leur ville, leur région, leur province et leur pays.
Et, en maintenant les habitudes d'écoute, les diffuseurs privés au Québec contribuent à renforcer la cohésion de la société québécoise et le partage des valeurs communes, à promouvoir nos créateurs et nos artistes et à favoriser le développement de l'ensemble de nos industries culturelles.
Cette vocation des médias a été particulièrement mise en lumière de façon non équivoque dans le cadre d'un sondage de la maison Décima, réalisé récemment pour le compte de notre association et de l'Association canadienne des journaux.
Ce sondage unique révèle la dépendance aux médias canadiens; 57 % des Canadiens estiment que le maintien d'une industrie médiatique canadienne solide est un élément important que le nouveau gouvernement fédéral devra intégrer à son programme.
En fait, 7 Canadiens sur 10 accepteraient que l'on consacre davantage de fonds publics à des moyens qui assureraient la pérennité du contenu canadien dans le futur.
Il est clair que la population souhaite des médias canadiens qui soient solides. Dans cette perspective, il importe que le gouvernement s'assure de ne pas multiplier les obstacles dans ce domaine.
Et il est important de rappeler que le secteur de la production audio-visuelle et de la radiodiffusion n'est pas influent seulement à cause de sa vocation culturelle. C'est un secteur de grande importance économique axée sur le savoir, qui rémunère très bien les gens jeunes et dynamiques qui y travaillent.
Cependant, au cours de la dernière année, les initiatives prises par les deux paliers de gouvernement ont toutes eu pour effet de pénaliser ce secteur.
Au Québec, l'histoire avait pourtant bien commencé avec la mise en place, en 1990, d'un programme de crédit d'impôt remboursable à la production cinématographique et télévisuelle.
Initié par Gérard D. Lévesque, alors ministre des Finances, ce programme stimulait la production audiovisuelle, contribuait à la création d'emplois de qualité et offrait un excellent rapport coûts/bénéfices.
Une mesure si efficace que pratiquement toutes les provinces canadiennes et le gouvernement fédéral s'en sont inspirés pour créer leurs propres programmes de crédit d'impôt remboursable. Des provinces sont même en voie de les bonifier.
Mais voilà que le dernier budget du gouvernement, déposé quelques jours avant le scrutin provincial, sans avis ni consultation préalable, a fait marche arrière, en s'attaquant au programme de crédit d'impôt québécois.
Pour le nouveau gouvernement Charest, qui a hérité de cette situation, le défi lors de son prochain budget sera de reconnaître l'importance des enjeux qui en découlent.
Les changements au crédit d'impôt du Québec, caractérisés par des réductions généralisées du taux de crédit d'impôt remboursable et de plafond par production, mettent en danger l'industrie de la production d'ici.
Ces mesures réaffirment également l'inadmissibilité des filiales des diffuseurs privés québécois aux crédits d'impôts ainsi que de plusieurs catégories d'émissions. Et ce, alors que les compagnies de production étrangères y ont toujours accès. Cela nous apparaît étrange, incongru et inéquitable.
Au total, le volume de production qui ne bénéficiera plus du crédit d'impôt remboursable est estimé à 68 millions de dollars. Il se pourrait que certaines émissions ne voient pas le jour. Cela représente 43,5 millions de dollars en salaires par année pour les artisans de l'industrie, ou l'équivalent de 1 200 emplois/année.
Elles déstabiliseront l'industrie de la télévision privée de langue française et provoqueront une spirale de décroissance dans ce secteur. Elles déstructureront aussi l'industrie de la production télévisuelle indépendante et affiliée québécoise, avec toutes les conséquences négatives que cela aura sur leur capacité d'investir dans de nouveaux concepts d'émissions et de développer de nouveaux marchés.
Elles nous empêcheront de maintenir la part élevée de l'écoute télévisuelle totale des Québécois francophones consacrée à des émissions québécoises.
Nous demandons donc au nouveau ministre des Finances du Québec de reconsidérer la majorité des mesures d'exclusion de l'admissibilité au crédit d'impôt remboursable québécois. Je tiens à souligner que ce crédit d'impôt rapporte des revenus au fisc, supérieurs à leur coût.
Et maintenant, la situation s'est compliquée davantage il y a quinze jours, avec l'annonce par le gouvernement fédéral qu'il fera passer de 48% à 60% le plafond de la part des dépenses de main-d'uvre qui donnent droit au crédit d'impôt pour le coût total d'une production. C'est une décision favorable pour l'ensemble de l'industrie de la production.
Cependant, à la lumière de l'héritage du budget du gouvernement précédent, cette annonce du gouvernement fédéral risque de créer un désavantage envers l'industrie de la production au Québec car les autres provinces maintiennent ou bonifient leurs régimes de crédit d'impôt. La production hors province pourrait devenir plus avantageuse et attrayante. Nous comptons que le nouveau ministre des finances du Québec ne laissera pas ces enjeux lui échapper.
Au niveau du gouvernement fédéral, il y a d'autres problèmes à corriger. Deux initiatives survenues au cours de la dernière année causent de sérieux ennuis à la production télévisuelle.
La première initiative touche la décision de réduire de 25 millions de dollars par année pendant deux ans, à compter de 2003-2004, la contribution de Patrimoine Canada au Fonds canadien de télévision.
Ce retrait de l'appui au contenu canadien est très alarmant; nous voulons qu'Ottawa révise sa position et stabilise le Fonds à 100 millions de dollars par année.
En février 2003, l'ACR et la quasi-totalité de l'industrie, a vertement dénoncé la baisse de la contribution fédérale à ce Fonds. Nous estimons que ce manque à gagner représente la perte d'environ 200 heures de programmation pour le Québec et de quelques centaines d'emplois directs et indirects.
Nous avons l'intention de demander au nouveau gouvernement fédéral de reconnaître la réalité que les mesures de financement destinés au soutien de la production ne comptent que pour une fraction de la demande des télédiffuseurs. C'est pourquoi nous recommandons que le temps est venu de rassembler télédiffuseurs, producteurs et autres acteurs du secteur avec les fonctionnaires du Ministère des Finances et de Patrimoine Canada pour développer un plan d'action pour assurer le financement d'émissions télévisuelles.
Au-delà de ces questions, l'industrie fait face à d'autres défis de taille.
Un autre enjeu de taille : le vol des signaux
J'aimerais aborder l'un de ceux-ci, qui, à mon sens, exige une attention immédiate, prioritaire et à la mesure de son importance grandissante. Je parle bien du vol de signaux.
Il y a, au Canada, selon les estimés les mieux renseignés, environ un million de systèmes de satellite illégaux en opération. Selon une recherche de la part de Cogéco et Vidéotron plus tôt cette année, un Québécois sur cinq connaît au moins une personne qui pirate les signaux satellite. L'impact d'ensemble de ces vols sur le système canadien de radiodiffusion est évalué à 400 millions de dollars par année. Leurs conséquences sont éminemment fâcheuses car tout le monde y pert.
Le nouveau gouvernement doit trouver des solutions pour combattre le vol de signaux. Les États-Unis ont adressé cette question avec l'adoption du Millenium Act. Au Canada, les solutions doivent inclure de nouvelles lois qui ont du mordant.
Conclusion
Les succès du système de radiodiffusion doivent continuer. L'épanouissement culturel du pays n'en demande pas moins. Dans un contexte de fragmentation et d'explosion des choix, le secteur privé ne peut y arriver seul. Les deux paliers de gouvernement doivent le réaliser.
Soyons clair, notre industrie n'est pas quémandeur. Bon nombre des pays occidentaux reconnaissent l'importance de maintenir une identité culturelle par le biais de mécanismes de soutien. Et au surcroît, alors que les gouvernements s'acharnent à développer des mécanismes pour attirer les investissements étrangers dans d'autres secteurs, nous comprenons mal que nos deux paliers de gouvernement imposent des réductions et restrictions au soutient de notre secteur.
C'est pour cette raison que l'industrie demande :
Premièrement au gouvernement québécois de revisiter la majorité des mesures d'exclusion de l'admissibilité au crédit d'impôt remboursable;
Et deuxièmement, au gouvernement fédéral de créer un plan d'action pour adresser la situation du financement télévisuel.
Les coupures dans ce secteur mettent en danger non seulement des milliers d'emplois dans une industrie jeune et dynamique, mais en plus le reflet de notre identité.
Je vous remercie de votre attention.