Discours prononcé par M. André Préfontaine
Président, Médias Transcontinental inc.
(tel que prononcé)
Le 24 avril 2003
Salutations particulières,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d'abord à remercier la Chambre de commerce du Montréal métropolitain pour cette invitation à vous adresser la parole ce matin.
Et compte tenu de l'aspect quelque peu matinal de l'événement, j'ai préféré vous préserver du caractère indigeste d'un discours sur la convergence dans les médias ou de remarques sur l'avenir de l'imprimé devant la montée de l'Internet.
J'aimerais plutôt profiter des quelques minutes qui me sont si gracieusement offertes pour partager avec vous une réflexion bien personnelle sur l'érosion graduelle du sens de la communauté dans notre société ainsi que des outils mis à notre disposition pour contrer cette menace à notre avenir collectif.
Mais avant de commencer, j'aimerais souligner les liens étroits qui unissent Transcontinental à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Bien sûr, plusieurs de mes collègues et moi-même sommes membres de la Chambre et souscrivons pleinement à ses objectifs. Mais, plus encore, il existe entre la Chambre et l'ensemble de nos publications économiques une étroite complicité qui reflète des préoccupations similaires ainsi qu'une volonté commune de contribuer au développement de la communauté d'affaires du Montréal métropolitain, tout comme celle de l'ensemble du Québec.
En premier lieu, il y a bien sûr la Revue Commerce, qui s'est imposée comme la voix de la libre entreprise et de la grande entreprise et qui célèbre cette année son 103e anniversaire.
Ensuite, le journal Les Affaires qui rejoint chaque semaine plus de 335 000 décideurs du Québec et, pour plusieurs d'entre vous, représente un véritable coffre à outils.
Je m'en voudrais d'ailleurs de ne pas mentionner Affaire PLUS, PME, Finance et Investissement et Forces, dont vous pourrez obtenir des exemplaires à la sortie de la salle.
Pour revenir maintenant à mon propos du départ, je voudrais vous ramener brièvement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que nous assistions à un vaste mouvement de libéralisation des échanges commerciaux internationaux accompagné de progrès technologiques sans précédent et toujours plus rapides.
Ajoutons à cela la montée de la consommation de masse des années 1950, la Révolution tranquille des années 1960, la crise du pétrole et la prise de conscience environnementale des années 1970, la chute du communisme à la fin des années 1980 et la révolution Internet des années 1990, et nous comprenons facilement que nombre de résidents de la région de Montréal se perçoivent de plus en plus comme citoyens du monde !
À l'inverse de cette prise de conscience face à notre place dans le village global, nous constatons un phénomène parallèle particulièrement inquiétant de désintéressement à l'égard de ce qui se passe dans notre communauté immédiate.
Dans un monde de surabondance d'information, où il est, par exemple, possible de suivre au petit écran une guerre à l'autre bout du monde, 24 heures sur 24, coup de fusil par coup de fusil, on tend à banaliser, voire à ignorer, ce qui se passe dans notre propre ville et dans notre quartier.
Ajoutez à tout cela les profonds changements auxquels ont été confrontés les individus au cours des 50 dernières années et vous avez là tous les ingrédients susceptibles d'engendrer un repli sur soi, et, par la force des choses, une érosion de notre sens de la communauté.
À l'affût des moindres changements, les spécialistes en marketing et en publicité ont eu tôt fait de noter ces tendances. De la publicité de masse, nous sommes passés à la segmentation des clientèles, puis à la personnalisation des approches.
Pensez, par exemple, à l'émergence du marketing « one-to-one », une belle expression qui met l'accent sur le moi, qui tente de nous convaincre que l'Univers gravite autour de nous seul et que la société n'est que la somme des personnes qui la composent.
Considérons aussi Internet qui personnalise tout, qui fait de l'utilisateur un marin solitaire sur une mer d'information et de jeux. Cet Internet qui, grâce aux cookies, vient épier ce que l'on fait, où l'on va, et qui, selon les intérêts décelés, nous bombarde de messages et d'offres surtout pour des produits et des services américains.
Comme vous, je déplore ce repli sur soi. Car, je suis issu d'une génération qui a entendu Kennedy dire à ses compatriotes : «Ask not what your country can do for you, but what you can do for your country !».
Je ne suis pas, non plus, le seul ni le premier à constater l'effritement de ce « sens de la communauté ». Qui parmi nous ce matin ne connaît pas un exemple illustrant cette montée du « Me, myself and I » aux dépens du sentiment communautaire.
Par contre, peu de gens l'ont aussi bien exprimée et documentée que le professeur Robert D. Putnam dans son ouvrage Bowling Alone. Le professeur Putnam a cherché à expliquer les causes à l'origine du désengagement social et civique, constaté par plusieurs depuis une génération.
Au cours de ses recherches étalées sur plus de trois décennies, Putnam a noté, entre autres choses, que :
- Le temps consacré aux clubs sociaux a chuté de moitié;
- La pratique religieuse a décru de près de 30 % ;
- La participation aux activités partisanes des partis politiques est en forte baisse (de plus de 50%, dans certains cas) ;
- Les organisations comme les syndicats, les mouvements féministes et les organismes caritatifs ont vu leurs listes de membres réduites du tiers.
Cette forte baisse de participation s'est aussi accompagnée d'une chute de confiance et de respect envers les gouvernements et les grandes institutions traditionnelles.
En fait, les seuls groupes qui ont enregistré une hausse de fréquentation sont ceux dont l'objet n'est pas de nature politique, religieuse ou sociale. Ceux dont les activités suscitent une participation individuelle, où l'interaction avec les autres ne joue pas un rôle prépondérant. On pense par exemple aux clubs de lecture, de jardinage, de marche ou de conditionnement physique.
Longtemps influencé par les grands courants venus du sud de la frontière, le Québec n'a pas été à l'abri de ces forces qui ont fait battre en retraite cet esprit communautaire qui nous a si souvent caractérisés.
Le Québec n'est plus cette société «tricotée serrée» d'il y a 50 ans. Ici aussi, bon nombre de nos certitudes ont volé en éclats et l'individualisme a pris le dessus sur le sens de la communauté. À tel point qu'on en est venu à créer un ministère de la Solidarité !
Quand on y songe, nous menions autrefois une vie beaucoup plus ordonnée, plus prévisible. Nous savions que nous appartenions à une communauté et, à bien des égards, nous savions quelle place nous y occupions.
Au centre de la communauté se trouvait la famille : un père, une mère et des enfants. Une famille élargie, aussi, avec des oncles, des tantes, des cousins et des cousines, des grands-parents. Et ces familles comptaient, au bas mot, trois ou quatre enfants, quand ce n'était pas huit ou plus.
Avec un taux de natalité qui est passé, en quarante ans, de 27,5 enfants par 1 000 habitants à moins de 10, et la taille moyenne des familles qui a été réduite de moitié, pas surprenant que nos fêtes familiales soient moins animées.
Près de 40 % des familles biparentales sont à enfant unique et la vaste majorité (82 %) n'ont pas plus de deux enfants.
La religion est une autre de ces certitudes disparues. Elle nous rappelait sans cesse que nous faisions partie d'une communauté dans laquelle l'église constituait une force sociale dominante. La religion, centrée sur la paroisse, venait ordonner notre vie, avec ses fêtes religieuses et le rassemblement dominical pour la messe.
Il en va de même pour le caractère prévisible de notre existence. Jadis, nous savions qu'en empruntant une certaine route, un certain cheminement dans la vie, nous pouvions pratiquement prévoir ce dont serait fait notre avenir.
Je prends ma famille pour exemple: nous savions que si nous allions à l'école et que si nous persévérions jusqu'à l'université, nous étions assurés de décrocher un emploi à la fin de nos études. Peu importe la discipline choisie, le résultat serait le même : un emploi assuré. De nos jours, un diplôme universitaire ne garantit pas un emploi automatiquement et certaines disciplines, malgré leur valeur, ne sont plus garantes du tout d'un emploi.
En parcourant le C.V. de chacun des employés de SODÉMA, on jurerait que l'on a sous la main un corps professoral tout entier plutôt que la liste de paye de notre centre d'appels, tant on compte de baccalauréats, de maîtrises et même de doctorats.
Autrefois, après l'université, nous savions que le mariage nous attendait et que nous fonderions une famille ; nous pouvions, du même coup, prédire combien d'enfants nous aurions et dans quel quartier nous habiterions.
Sans compter que les Tanguy de ce monde sont désormais légion. En 2001, au Canada, 41 % des jeunes de 20 à 29 ans habitaient encore le foyer familial, comparativement à 27,5 % en 1981. Au début de la vingtaine, une telle situation est normale. Mais plus tard, elle étonne : 24 % des 25-29 ans vivaient encore chez papa-maman en 2001, comparativement à 12 %, vingt ans plus tôt.
Tout ceci pour dire qu'au Québec comme ailleurs dans le monde, la fin des certitudes, la modification dans nos échelles de valeurs, de même que la mondialisation des échanges et l'émergence de l'Internet sont autant d'éléments qui ont branché l'individu sur le monde, mais qui, paradoxalement, l'ont éloigné de sa communauté immédiate.
Vous et moi constatons que le ciment nous soudant à notre communauté s'est lézardé, que les forces qui consolidaient l'esprit communautaire et le sentiment d'appartenance ont perdu beaucoup de leur attrait et de leur influence sur nos vies.
Aujourd'hui, peu d'instruments subsistent pour nous rappeler que nous vivons en communauté et que les éléments d'interdépendance entre les membres de cette même communauté existent encore. Parmi ceux-ci, la presse locale vient jouer un rôle unique d'informateur et de rassembleur.
Les journaux hebdomadaires font partie de la vie des Québécoises et des Québécois depuis près de 150 ans. On a souvent prédit leur disparition et pourtant, nous sommes plus de 4 millions à les lire assidûment et à les apprécier.
Bien sûr, les hebdomadaires régionaux ne couvrent pas les grands conflits internationaux, pas plus que les débats nationaux. Toutefois, n'eût été de leur contribution, la couverture médiatique de la dernière campagne électorale aurait été amputée de sa véritable dimension locale.
Le même constat s'applique pour la couverture de la scène municipale et scolaire, deux niveaux de gouvernement que l'on considère le plus près des citoyens. Grâce à leur connaissance du milieu, des enjeux et des acteurs locaux, les journaux hebdomadaires sont le seul média capable de rendre compte de l'évolution de l'actualité locale et régionale.
L'atout indéniable des journaux hebdomadaires c'est leur proximité des communautés qu'ils desservent, de leurs lecteurs et de leurs annonceurs. Ils font partie des médias de première ligne, ceux qui fournissent une information utile à notre vie de chaque jour et qui souvent déclenchent le processus d'achat.
Récemment, l'Association des hebdos du Québec a réalisé une étude qui démontre l'efficacité publicitaire de nos hebdos. Elle révèle que nous sommes plus de la moitié à les conserver jusqu'à l'arrivée de l'édition suivante et que nous apprécions tant le contenu rédactionnel que publicitaire.
L'association des Hebdos du Québec regroupe plus de 140 journaux présents dans les 17 régions du Québec, qui rejoignent un lectorat de plus de 4 millions de personnes.
Propriétaire de plus du tiers de ces 140 journaux, Médias Transcontinental est le 4e plus important groupe de presse écrite au Canada et le plus important éditeur de magazines destinés aux consommateurs.
En plus d'occuper le premier rang dans le secteur de l'édition de journaux régionaux et communautaires au Québec et le second au Canada, Médias Transcontinental est également le leader de la distribution porte-à-porte de matériel publicitaire au Canada (Publi-Sac).
Exprimés en chiffres, les Hebdos Transcontinental, c'est :
- 800 employés
- 66 hebdos, des centaines de titres et cahiers divers
- 2,3 millions de lecteurs par semaine
- 40 bureaux au Québec
Dans la seule région de Montréal, nous rejoignons 1,2 million de foyers et un lectorat de 1,7 million de personnes.
Sur l'île de Montréal, où plus de 95 % des foyers reçoivent au moins un hebdo Transcontinental, y compris le secteur Centre-Sud grâce à la création récente du Ville-Marie, certains auraient voulu que le territoire de chaque journal, se calquent rapidement sur les arrondissements de la nouvelle ville.
Dans plusieurs cas, le hasard a bien fait les choses, mais dans d'autres, nous allons conserver les secteurs tels quels puisqu'ils calquent la répartition des communautés démographiques, sociales et commerciales établies de longue date.
Né du regroupement en novembre 2000 de Publications Transcontinental et de Distribution Transcontinental (qui incluait les hebdos), Médias Transcontinental connaît depuis une croissance phénoménale.
Après 3 ans à peine, une restructuration et plusieurs acquisitions, l'entreprise Médias Transcontinental emploie aujourd'hui 3 000 personnes, génère un chiffre d'affaires de 500 millions de dollars, et est le seul éditeur canadien présent dans chacune des 10 provinces.
Notre objectif est de devenir le premier éditeur canadien de journaux locaux et régionaux au Canada, et le plus important éditeur canadien de magazines, toutes catégories confondues.
Un pas très important en ce sens a été effectué l'an dernier alors que nous avons réalisé une acquisition qui se distingue par son envergure et son importance stratégique : celle de 12 journaux communautaires de CanWest, dont dix quotidiens situés dans les provinces de l'Atlantique et en Saskatchewan.
Il s'agit de la plus importante acquisition de l'histoire de notre entreprise puisqu'elle permettra à elle seule d'ajouter environ 100 millions de dollars aux revenus annualisés de Transcontinental.
Avec son secteur des médias, Transcontinental a bâti un modèle d'affaires puissant et unique, fondé sur le sens de la communauté au sens propre - locale et géographique - comme au sens figuré, avec les communautés d'intérêt qui gravitent autour de la thématique de chacun de nos magazines.
Le principe de base de ce modèle d'affaires est bien simple : si c'est bon pour la communauté, c'est bon pour le journal.
Pas surprenant donc que nos éditeurs et plusieurs de leurs collaborateurs soient très actifs dans la communauté. Je tiens à mentionner que deux de nos éditeurs, Caroline Andrews, du Ottawa Business Journal, et Jean Touchette, du Progrès de Saint-Léonard, ont d'ailleurs chacun reçu la médaille du Jubilé de la Reine pour leur engagement dans leur communauté.
Nous comptons aussi des présidents de chambres de commerce, comme Réjean Monette, qui l'a été à Blainville/Sainte-Thérèse et Louis Mercier, qui l'a été pour celle du sud-ouest de Montréal, des administrateurs de Fondations d'hôpitaux, des présidents de club Lions, des présidents d'honneur de toutes sortes d'initiatives locales, pour ne nommer que ceux-là.
Grâce à différents partenariats, les hebdos Transcontinental donnent l'équivalent de plus d'un million de dollars en espace publicitaire à d'innombrables projets locaux dans les domaines sociaux, économiques, sportifs et de loisirs communautaires.
En terminant, comme vous l'avez certainement constaté, vous aussi, dans vos milieux respectifs, la fin des certitudes, la modification des échelles de valeurs, la mondialisation des échanges, ont branché l'individu sur le monde, mais ont semblé, du même coup, le déconnecter de sa communauté.
Chose certaine, ici au Québec comme ailleurs au pays, Médias Transcontinental entend poursuivre sa progression, avec à l'esprit le souci de promouvoir et de mettre en valeur les particularités locales et régionales.
Car, notre mission repose sur notre conviction profonde que les journaux locaux, tout comme des organismes tels que la Chambre de commerce, comptent parmi les outils les plus efficaces pour contrer le phénomène de l'érosion du sens de la communauté dont je vous ai entretenu ce matin.
Je vous remercie de votre attention.