Des valeurs d'avenir pour le Québec
Discours de Guy Crevier
Le 25 novembre 2003
Bonjour, C'est un immense plaisir pour moi d'être avec vous aujourd'hui.
Les raisons sont multiples :
- La première est d'être entouré de ma famille, de mes enfants
- D'être entouré d'amis, de collègues de travail, de gens qui m'ont aidé tout au long de ma carrière.
- D'être entouré de lecteurs et d'annonceurs de La Presse.
- D'être entouré de partenaires : Normand Legault, Alain Giguère, Alain Simard, François Duffar, Philippe Cantin et surtout un gros merci à toi Rémi et toute ton équipe de Transcontinental, pour les efforts réalisés pour l'impression de la Nouvelle Presse.
Je suis également des plus heureux d'être associé à une activité de la Chambre de commerce.
Organisme pour lequel j'ai beaucoup de respect.
La Chambre a, au cours de la dernière année, fait preuve d'un dynamisme et d'une détermination sans pareil.
La récente position de la Chambre sur les défusions municipales, en est la preuve.
La Presse vient tout juste de compléter une réforme en profondeur de son contenu et de sa présentation.
Toute cette démarche de renouveau de La Presse nous a amenés à réfléchir sur les grands enjeux qui touchent la société québécoise et sur nos priorités de couverture.
Notre prétention est simple.
Nous croyons dans la richesse de notre société, dans ses valeurs humaines profondes, dans les opportunités qu'elle offre et nous tenons à ce que La Presse contribue à l'enrichissement de sa communauté.
Aujourd'hui, je veux en toute simplicité partager avec vous certaines idées qui se sont imposées au cours de cette réflexion.
Nous vivons dans une période où le changement est constant, où la faculté de s'adapter est cruciale.
Certaines des approches qui ont bien servi la société québécoise jusqu'à maintenant doivent être repensées et réajustées en fonction des réalités d'aujourd'hui.
« Mais jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour que les choses changent vraiment? ».
Les Québécois et Québécoises sont plus ouverts au changement qu'on pourrait le penser.
Ils sont conscients des limites de notre société mais s'attendent à des solutions pragmatiques, à un rôle différent des politiciens, à un engagement plus profond des organismes, des entreprises et des individus.
Chaque année, la firme CROP réalise un grand sondage sur les valeurs de la société québécoise.
Au cours des cinq dernières années, les résultats de cette vaste enquête dénotaient une attitude fataliste, un sentiment d'exclusion et d'impuissance au sein de la population.
Ce qui inévitablement se traduisait par une incertitude face aux changements.
Fait intéressant, les résultats enregistrés cette année démontrent un important virage.
Aujourd'hui, les gens réalisent que la vie offre de formidables opportunités, que des solutions sont concevables, que les possibilités sont immenses.
Le fatalisme des dernières années laisse place aux défis de société, aux défis personnels, à l'engagement des individus et à la créativité.
L'assainissement des dépenses publiques n'est pas étranger aux lueurs d'espoir qui pointent sur la carte des valeurs.
À ce chapitre, les gouvernements Chrétien et Bouchard ont fait un travail remarquable en mettant fin à l'hémorragie des déficits.
Malgré le chemin parcouru, beaucoup reste à faire.
La Presse publiera le 6 décembre, dans le cadre d'un grand dossier sur le rôle de l'État, les résultats d'un sondage CROP. Certaines des données sont révélatrices de l'ouverture des Québécois au changement. Je vais y référer à quelques reprises aujourd'hui.
80 % des Québécois estiment qu'une « réforme majeure » est nécessaire pour améliorer l'état des finances publiques.
Tout changement en profondeur et toute réflexion sur le rôle de l'État doivent nécessairement englober une réévaluation des dépenses publiques.
Les Québécois sont conscients que des choix sont à faire car les moyens dont nous disposons, en tant que collectivité, demeurent limités.
Ils sont ouverts à des modèles différents.
Alors que les pouvoirs publics montrent des signes d'essoufflement, on se rend bien compte que le changement ne doit pas nécessairement provenir des gouvernements.
Les individus, les entreprises et l'ensemble de nos institutions doivent démontrer une réelle volonté de prendre la relève.
Pour ce faire, les réflexes traditionnels de confrontation doivent être mis de côté au profit d'un véritable effort collectif.
Voilà le type d'approche concertée qui, conjuguée à des valeurs solides, permettra à notre société de mieux faire face aux enjeux d'avenir.
Et ces enjeux sont nombreux :
- la santé
- l'éducation
- l'environnement
- l'économie, etc.
Pour mieux cerner ces grands enjeux, j'ai demandé à quelques collaborateurs de La Presse de se prononcer sur les grands défis qui attendent la société québécoise.
Écoutons-les.
L'un des enjeux les plus cruciaux est certainement celui de l'évolution démographique car il est au cur même du développement de notre société.
Notre population vieillit.
- En 2030, 1 Québécois sur 4 aura 65 ans et plus.
Notre population vieillit
et ne se renouvelle pas.
- Aujourd'hui, le Québec compte sur 70 000 nouveaux-nés chaque année, soit quatre fois moins qu'il y a 50 ans.
- Avec 1,47 enfant par famille, notre taux de natalité est l'un des plus bas sur la planète.
Cette tendance, si elle se poursuit, aura pour résultat de nous isoler davantage car la population des États-Unis, contrairement à la nôtre, continue de s'accroître.
Notre faible taux de natalité entraîne de sérieuses conséquences :
- Les coûts de la santé sont de plus en plus difficiles à soutenir.
- Notre poids démographique diminue au Canada et en Amérique du Nord.
- Dans leur forme actuelle, nos régimes de retraite sont dépassés.
Mais plutôt que de s'arrêter à des scénarios alarmistes, ne vaut-il pas mieux voir cette situation comme un défi extraordinaire?
- Un défi pour les individus : comment concilier vie de couple, famille, travail avec épanouissement et bonheur.
- Un défi pour la collectivité, notamment pour les entreprises : comment ces dernières peuvent-elles s'adapter pour faciliter les conditions de travail des parents, et en même temps retenir au travail les gens plus âgés?
- Un défi pour l'État : comment stimuler les changements nécessaires, sans intervenir de façon lourde et coûteuse?
Nous devons aborder tous ces défis avec une bonne dose de réalisme, mais surtout avec une vision positive de l'avenir.
Car le futur de notre société dépend directement des choix que nous faisons aujourd'hui.
Et s'il y a un choix qui, à mes yeux, doit être fait le plus rapidement possible, c'est celui de se doter d'une véritable politique familiale.
Je parle ici d'un véritable plan à long terme dont l'objectif sera de simplifier la vie des familles.
Il est grand temps que nous reconnaissions l'apport de ceux et celles qui ont des enfants dans notre société.
Et pour encourager cet apport, des gestes concrets doivent être posés, à commencer par :
- La conception de programmes de services adaptés aux nouvelles réalités familiales.
- La mise en place d'une politique fiscale avantageant directement les parents.
- L'instauration de mesures favorisant la conciliation travail-famille.
Une telle politique familiale doit être l'affaire du gouvernement, mais elle doit avant tout constituer un projet de société, une vaste initiative qui mettrait à contribution l'ensemble des forces vives.
Les vraies solutions passent encore une fois par un plus grand leadership des entreprises et de l'ensemble des institutions.
Ce sont là les conditions nécessaires pour relever avec succès l'important défi de la natalité.
La Presse a décidé, en collaboration avec Radio-Canada, d'organiser une série de conférences sur les grands enjeux de la société québécoise.
La toute première de ces conférences aura lieu mercredi prochain et portera sur la natalité avec pour thème : Des Enfants pour le Québec.
Monsieur Lucien Bouchard, a accepté de prononcer la conférence d'ouverture. Merci beaucoup Monsieur Bouchard, nous apprécions beaucoup votre collaboration et nous apprécions aussi beaucoup vous compter parmi les lecteurs attentifs de La Presse.
Au cours de cette conférence, des spécialistes d'ici et d'ailleurs viendront alors partager leur vision et parler de solutions.
À court et moyen terme, la question démographique demeure préoccupante et, face à cette réalité, l'avenir de notre système de santé constitue la principale source d'inquiétude.
Dans 25 ans, une personne sur quatre aura plus de 65 ans et ce groupe d'âge engendrera 60 % des dépenses en santé.
Comment adapter notre système de santé, qui bat déjà de l'aile, à cette clientèle dont la proportion s'accroît rapidement?
Tout le monde le dit, il faudra investir de plus en plus dans les soins à domicile et dans le suivi attentif des patients.
Bien que cette solution jouisse d'une belle unanimité auprès des experts, il est évident qu'elle ne suffira pas à tout régler.
Elle devra être complétée par d'autres initiatives touchant tous les aspects du domaine de la santé, dont le rôle des cliniques privées.
À titre d'exemple, 73 % des personnes interrogées se sont dites favorables à l'essor de cliniques privées pour désengorger le système public de santé.
Je ne dis pas que cette solution soit nécessairement la bonne, ce que le sondage indique c'est que les Québécois sont ouverts au changement, à des solutions nouvelles.
Les récents développements survenus en Allemagne démontrent qu'il est possible d'arriver à de meilleurs résultats en révisant les approches, en privilégiant la concertation et en faisant preuve d'initiative et de créativité.
Dans le cadre d'une réflexion globale sur le rôle de l'État allemand, le gouvernement, les employeurs, les travailleurs et l'opposition ont réussi à mettre en place un nouveau modèle du système de santé.
Parmi les mesures introduites, on retrouve notamment une approche visant à faire assumer une partie des coûts au malade tout en conservant le principe d'équité et d'accessibilité aux soins.
Ce qui ressort avant tout de ces mesures, c'est qu'elles sont le résultat d'un consensus sur des valeurs à privilégier et des objectifs à atteindre.
Un consensus qui, même s'il a exigé beaucoup d'efforts et d'énergie, est parvenu à inclure la majorité des forces en présence dans la société allemande.
Impensable à prime abord, cette unanimité a été rendue possible par un soutien majoritaire de la population.
Et tous s'entendent pour dire que le compromis atteint est équilibré car il permettra de préserver l'accessibilité et la qualité des soins.
Les Québécois souhaitent aussi ce genre de consensus, une notion de consentement collectif qui leur est chère.
Toujours selon CROP, 83 % des Québécois se disent convaincus que l'amélioration des finances publiques ne pourra se faire dans un climat de confrontation, que les parties concernées doivent travailler en concertation, dans un esprit de compromis.
Une majorité encore plus considérable 94 %! - c'est presque tous les Québécois, une rare unanimité dans un sondage estime que plutôt que de se servir des problèmes de la santé à des fins partisanes, les partis politiques devraient travailler ensemble pour trouver des solutions.
Par ailleurs, un exemple comme celui de l'Allemagne, renforce à mes yeux la nécessité de rendre accessible le plus d'informations possibles sur ce qui se fait à l'étranger.
C'est pourquoi La Presse investit beaucoup d'efforts et de ressources à cet effet.
Grâce à notre réseau de correspondants et à nos envoyés spéciaux, La Presse est en mesure de proposer à ses lecteurs des pistes de solutions et des modèles qui fonctionnent ailleurs.
Notre société, si elle veut prendre les meilleures décisions, doit être prête à tenir un débat ouvert et informé.
- Peut-on intégrer une contribution financière privée sans menacer les fondements de notre système?
- Les 19 milliards que le Québec dépense pour la santé sont-ils utilisés de la meilleure façon pour servir l'ensemble de la population?
Voilà le genre de questions auxquelles nous devons pouvoir répondre.
Un débat où il est essentiel de garder à l'esprit que le patient, et c'est là une valeur fondamentale qui doit primer dans toute réforme, doit rester au cur des préoccupations.
La santé n'est évidemment pas le seul enjeu important qui nécessitera une discussion franche et ouverte au sein de notre société.
L'éducation est également une source de préoccupations pour beaucoup d'entre nous.
Au cours des 40 dernières années, le Québec a bien performé à ce chapitre.
En 1976, 15 % des Québécois obtenaient un bac à l'Université.
Aujourd'hui, cette proportion a presque doublé et se situe nettement en haut de la moyenne des pays occidentaux.
La situation est cependant critique au secondaire où le décrochage atteint des niveaux inquiétants.
Selon les données les plus récentes du ministère de l'Éducation, près d'un élève sur 3 n'obtient pas son diplôme.
Ces jeunes représentent une partie de l'avenir du Québec et, sans diplôme d'études secondaires, leurs chances de participer activement à l'avancement de notre société sont sérieusement compromises.
Pour ces raisons, les travailleurs de toutes les catégories d'âge doivent plus que jamais être encouragés à se doter d'une formation de haut niveau.
Maintenir la qualité de notre réseau d'éducation requiert bien entendu d'importantes ressources.
Le financement des universités, notamment la question cruciale des frais de scolarité, revêt à mes yeux une importance particulière.
Au Québec, ces frais demeurent encore à un niveau bien en deçà de la moyenne canadienne.
Le gel actuel compromet nécessairement le maintien de standards de qualité adéquats et son prolongement entraînera à coup sûr une dégradation marquée de notre réseau universitaire.
Permettez-moi de citer une dernière fois le sondage réalisé par CROP.
54 % des Québécois se disent favorables à l'indexation des frais de scolarité universitaire.
Ce qui est encore plus intéressant, c'est que cette proportion grimpe à 61 % parmi les diplômés.
Les diplômés savent à quel point, de nos jours, la formation universitaire représente un investissement extraordinairement rentable pour chaque individu et pour la société dans son ensemble.
Tout comme c'est le cas avec la santé, il y a urgence de tenir un débat ouvert et constructif sur ce problème, de même que sur l'ensemble des questions touchant l'avenir de notre système d'éducation.
Face à ces grands enjeux, la société québécoise doit être en mesure de faire des choix éclairés.
Et pour faire de bons choix, il faut être bien informé.
En tant que quotidien de référence, La Presse joue aujourd'hui un rôle actif sur ce plan en offrant :
- un contenu plus riche et approfondi qui donne une place importante à l'analyse ainsi qu'à la publication de dossiers et de séries.
En privilégiant une vision globale de son rôle d'information, en étant un espace ouvert pour la diffusion des multiples courants d'idées, La Presse est en mesure de faire avancer les débats et s'affirme comme un véritable agent de changement au sein de notre société.
En tant que quotidien de référence, nous occupons une place unique en Amérique du Nord.
Dans les marchés comparables au nôtre, il existe très peu de quotidiens qui consacrent autant d'espace à l'analyse et aux débats, en plus d'offrir une couverture internationale alimentée par son propre réseau de correspondants.
La société québécoise, comme beaucoup d'autres en Occident, fait face à de nombreux défis d'avenir importants.
Les décisions que nous prenons et les gestes que nous posons aujourd'hui seront déterminants pour le succès des générations futures.
Notre marge de manuvre est étroite.
Nous devons faire les bons choix.
Heureusement, notre société a démontré qu'elle possède les atouts nécessaires pour s'adapter et réagir de façon positive face à de tels enjeux.
Notre créativité et notre sens de l'entrepreneurship sont reconnus et ont largement fait leurs preuves, aussi bien dans le domaine des affaires qu'en recherche scientifique ou dans le milieu culturel.
Compte tenu de la taille de notre population, la liste des réalisations québécoises est riche en réussites exceptionnelles.
Une autre force importante de notre société réside dans la solidité et l'efficacité de ses institutions.
Qu'il s'agisse des institutions gouvernementales, des universités, des associations professionnelles, des syndicats ou encore des organisations vouées au développement économique, notre société peut compter sur des structures modernes et bien établies qui sont en mesure de lui assurer un développement dynamique.
Si nous voulons vraiment permettre au Québec de maximiser son potentiel, nos différentes institutions doivent travailler de concert et pousser dans la même direction, que ce soit les milieux d'affaires et les syndicats ou encore le gouvernement en place et l'opposition.
Pour faire face aux grands enjeux d'aujourd'hui, tous ces intervenants doivent également appuyer leur action sur des valeurs sûres, des valeurs d'avenir pour le Québec.
Je vous remercie.