Mémoire sur la fiscalité des travailleurs autonomes présenté au Gouvernement du Québec
MONTRÉAL, Novembre 2000
Ce mémoire a été préparé en collaboration avec les organismes suivants :
- Chambre de commerce du Montréal métropolitain et, plus particulièrement le comité Travailleurs Autonomes et Micro-entreprises
- Chambre de commerce de St-Laurent
- Chambre de commerce et d'industrie de la Rive-Sud
- Les 4 Chambres de commerce de la MRC de la Vallée-du-Richelieu (Chambres de commerce de Chambly, Saint-Basile le Grand, Saint-Bruno et Vallée du Richelieu)
- Jeune chambre de commerce de Montréal
- Réseau des travailleurs indépendants
Note : Le genre masculin est utilisé dans ce document afin d'alléger le texte seulement; il ne doit pas être interprété comme un élément discriminatoire.
Table des matières
1 - Introduction
2 - Orientations
3 - Tendances
4 - Synthèse des recommandations
5 - Préoccupations fiscales des travailleurs autonomes
Définitions uniformes des statuts de travailleur autonome
Travailleur autonome avec un seul client
Déduction de frais de bureau à domicile
Frais de maintien de plus d'un bureau
Cotisation en double au RRQ
Estimation du revenu pour les acomptes provisionnels
Remise des taxes au moment de la perception
Avantages consentis aux entreprises
6 - Annexe 1 - Réalité hétérogène des travailleurs autonomes
7 - Annexe 2 - Travailleur indépendant, autonome ou employé?
1 - INTRODUCTION
Le choix d'une forme de travail où l'individu a plus d'influence sur son mode de vie professionnelle, la restructuration des grandes entreprises et des ministères ainsi que les changements technologiques permettant de travailler ailleurs qu'au bureau sont des facteurs importants dans la croissance du travail autonome au cours des dernières années.
Selon une étude de Statistique Canada dont les grandes lignes apparaissent à l'annexe 1, «le travail indépendant [sic] a été la source de plus des trois quarts de la croissance de l'emploi depuis 1989. [Au Canada], les travailleurs indépendants représentent maintenant plus de 17% de tous les travailleurs, une hausse par rapport aux 12% d'il y a vingt ans.» Ces résultats extraordinaires contrastent avec la croissance plutôt faible de l'emploi rémunéré au cours des années 90 et suscitent des questions sur la nature et la qualité de ce genre d'emplois et sur les influences qui sous-tendent leur croissance.
La croissance du travail autonome est un atout pour l'économie québécoise. Cette forme d'organisation de travail permet aux entreprises d'avoir accès à une main d'uvre spécialisée et flexible offrant des services personnalisés. Pour certains, le travail autonome constitue une rampe de lancement pour bâtir une PME. Le travail autonome développe l'esprit d'entreprise, contribuant ainsi à l'essor de l'économie québécoise.
Le comité travailleurs autonomes et micro-entreprises de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain a été créé il y a trois ans pour, entre autres, proposer à la Chambre des positions de représentation auprès des instances publiques sur l'encadrement législatif des travailleurs autonomes . Pour le présent document de réflexion, ce comité s'est concerté avec plusieurs Chambres de commerce de la région montréalaise ainsi que des réseaux de travailleurs autonomes pour proposer des solutions à des problématiques fiscales particulières aux travailleurs autonomes.
Il ne s'agit pas ici d'un statut spécial pour le travailleur autonome. Au contraire, nos recommandations s'appuient sur le principe fondamental qu'un travailleur autonome est une personne d'affaires dont les activités sont des activités d'entreprise. L'objectif principal ici est de favoriser l'entrée du travailleur autonome dans le monde entrepreneurial ainsi que son épanouissement pour que celui-ci puisse contribuer au mieux-être de la société.
2 - ORIENTATIONS
La réalité hétérogène des travailleurs autonomes
Les travailleurs autonomes évoluent dans des conditions qui varient selon leur spécialisation, la stabilité de leurs clientèles, le nombre d'années d'activités professionnelles ainsi que leurs caractéristiques personnelles.
Tout programme ou toute réglementation gouvernementale doit être suffisamment souple pour rendre compte de cette réalité hétérogène. Les graphique à l'annexe 1, tirés d'une analyse basée sur le recensement de 1996 démontre cette diversité.
Le libre choix
Le choix de participer ou non à des programmes gouvernementaux ou à des organismes qui défendent leurs droits revient à chaque travailleur autonome.
Le statut d'entreprise
Les travailleurs et travailleuses autonomes sont des gens d'affaires et conséquemment, ils doivent avoir le statut d'entreprise dans le régime fiscal, avec les privilèges, droits et obligations correspondants.
Le soutien aux travailleurs autonomes
Certains travailleurs autonomes ont un statut économique précaire alors que d'autres gagnent très confortablement leur vie. Au même titre que d'autres entrepreneurs, les travailleurs autonomes devraient avoir accès aux programmes de soutien à l'entreprise puisqu'une proportion des travailleurs autonomes veut développer ses affaires jusqu'au stade d'entreprise à part entière.
3 - TENDANCES
Entre 1980 et 1989, 66% de la croissance du travail indépendant a été le fait des propriétaires d'entreprise qui avaient des employés rémunérés. Par contre, les employeurs ne représentaient qu'une infime portion de la croissance nette du travail indépendant dans les années entre 1989 et 1996 soit seulement environ 10%. Les neuf dixièmes de la croissance du travail indépendant dans les années 90 ont été le fait des entrepreneurs travaillant seul.
4 - SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation 1.
Le gouvernement du Québec devrait adopter une approche constante et uniforme à l'égard des statuts des différents travailleurs autonomes basées sur le concept du risque économique.
Recommandation 2.
Le nombre de clients ne devrait pas être un critère déterminant pour refuser le statut de travailleur autonome.
Recommandation 3.
Lorsque le bureau est à la maison, 100% des frais encourus devraient être déductibles.
Recommandation 4.
L'exigence que la ou les pièces pour lesquelles une déduction est demandée soient exclusivement consacrées au travail devrait être supprimée. La déduction d'un bureau à domicile devrait être au pro-rata de son utilisation pour le travail, comme l'automobile.
Recommandation 5.
Un travailleur autonome dont l'entreprise n'est pas incorporée devrait pouvoir déduire les frais de tous les locaux qu'il utilise pour exercer son entreprise, incluant une partie de sa résidence personnelle.
Recommandation 6.
Le travailleur autonome devrait commencer à payer la cotisation-employeur une fois que ses revenus dépassent le niveau maximal des gains admissibles, c'est à dire 35 800$. La part de cotisation-employeur payée par le travailleur autonome augmentera jusqu'au double des gains admissibles, soit 71,600$.
Recommandation 7.
Les travailleurs autonomes et micro-entreprises devraient pouvoir, à leur choix, payer leurs acomptes provisionnels d'impôts de la même façon qu'ils acquittent la TVQ, c'est à dire sur la base des revenus effectivement gagnés au cours du trimestre passé et non à partir d'un estimé annuel.
Recommandation 8.
Les travailleurs autonomes qui le désirent devraient pouvoir acquitter les remises de taxes sur une base de comptabilité de caisse.
Recommandation 9.
Les travailleurs autonomes devraient être admissibles au congé fiscal accordé aux nouvelles corporations à l'intérieur des 5 années qui suivent la date de lancement de leurs activités.
5 - PRÉOCCUPATIONS FISCALES DES TRAVAILLEURS AUTONOMES
Définitions uniformes des statuts de travailleur autonome
La reconnaissance de leur statut est sans doute le principal problème rencontré par les travailleurs autonomes. Que ce soit au niveau des lois fiscales fédérales, provinciales, du régime des rentes, des lois sur le travail, de la Commission de santé et sécurité au travail, des normes du travail et autres apparentés, les définitions et critères utilisés pour établir le statut de travailleur autonome varient.
À la lumière des définitions et critères existants et brièvement décrits en appendice, trois catégories distinctes de travailleurs autonomes ont été définies : le travailleur autonome dépendant, le travailleur autonome indépendant et le micro-entrepreneur.
L'intention n'est pas d'écrire un texte de loi. Il s'agit ici d'être conséquent avec le principe directeur : le «vrai» travailleur autonome, c'est-à-dire l'indépendant, est une entreprise d'une personne (ou de quelques personnes dans le cas de la micro entreprise).
En tant qu'entreprise, le travailleur autonome indépendant fait face directement aux forces du marché dans lequel il ou elle évolue, pour le meilleur et pour le pire. Il fait constamment face au risque que son revenu soit insuffisant pour satisfaire les besoins de sa famille. Il a toutefois la possibilité d'augmenter ses revenus par ses efforts, que ce soit en travaillant plus d'heures, en cherchant plus de clients ou en s'associant des collaborateurs pour faire grandir son entreprise.
Par contre, le risque économique auquel fait face le travailleur autonome dépendant est semblable à celui d'un employé : le risque de perdre son «travail». De plus, la possibilité pour un travailleur autonome dépendant d'augmenter ses revenus est semblable à celle d'un salarié.
Au niveau fiscal, les trois catégories de travailleurs devraient être traités à peu près sur la même base puisqu'ils assument tous la plupart des coûts relatifs à l'exécution de leur travail. Cependant, au niveau de la protection sociale et du droit d'association, les désirs des travailleurs autonomes dépendants diffèrent de ceux des travailleurs autonomes indépendants, lesquels sont en fait des entrepreneurs oeuvrant dans des marchés ouverts.
En élaborant une définition du travailleur autonome dépendant, l'objectif demeure la préservation de la liberté d'entreprendre du travailleur autonome indépendant. En d'autres termes, les mesures visant à aider les dépendants ne devraient pas nuire aux indépendants.
Travailleur autonome dépendant
Travailleur qui exerce une profession ou exploite une entreprise sans aide rémunérée.
Il est dépendant financièrement d'un seul donneur d'ouvrage (ou d'un fournisseur exclusif), d'un donneur d'ouvrage principal ou d'un groupe lié de donneurs d'ouvrage principaux sans lequel il pourrait difficilement satisfaire ses besoins financiers personnels et avec qui il est souvent lié par des clauses d'exclusivité et/ou de non-concurrence.
Il supporte certains risques économiques découlant de son travail, cependant, une grande partie de ces risques sont souvent apparentés à ceux d'un travailleur salarié qui peut perdre son emploi.
Le plus souvent, il exerce ses activités dans un secteur du marché du travail où le nombre de travailleurs dépassent les besoins du marché.
Contrairement au travailleur salarié, il décide où, quand et comment il exécute son travail en tenant compte des réalités de son marché.
En général, il fournit l'équipement et les outils dont il a besoin et en assume les coûts de location et d'entretien et il réalise lui-même la majeure partie des tâches spécialisées.
Travailleur autonome indépendant
Travailleur qui exerce une profession ou exploite une entreprise sans aide rémunérée.
Il se caractérise principalement par les risques économiques découlant de son travail auxquels il s'expose et la possibilité d'augmenter son revenu par ses propres efforts de sorte qu'à moyen ou long terme, l'ampleur de ses efforts devrait influencer l'importance de son revenu. Par exemple, il peut trouver plus de clients ou s'associer avec des collaborateurs pour l'aider avec un surplus de travail. Le principal risque économique auquel fait face le travailleur autonome indépendant est que ses revenus soient insuffisants pour satisfaire ses besoins personnels. Dans les cas où il a dû faire des investissements importants pour s'équiper, il encourt également le risque de faire des pertes d'exploitation.
Il décide où, quand et comment il exerce ses activités en tenant compte des réalités de son marché.
En général, il fournit l'équipement et les outils dont il a besoin et en assume les coûts de location et d'entretien, et il réalise lui-même la majeure partie des tâches spécialisées.
Il peut exercer ses activités seul ou en association avec d'autres, à son propre compte ou par le biais d'une société incorporée.
Il est indépendant financièrement de ses clients, même s'il choisit parfois de n'exécuter que les contrats fournis par un seul payeur.
Micro-entrepreneur
Travailleur qui exerce une profession ou exploite une entreprise avec l'aide rémunérée d'un maximum de quatre personnes.
Il se caractérise principalement par les risques de profit ou de perte découlant du travail de son équipe auxquels il s'expose. Souvent, son statut de travailleur autonome est pour lui un tremplin vers la création éventuelle d'une petite ou moyenne entreprise.
Il décide où, quand et comment lui et son équipe exercent leurs activités en tenant compte des réalités de son marché.
En général, il fournit l'équipement et les outils dont lui et son équipe ont besoin et en assume les coûts de location et d'entretien, et il réalise une partie des tâches spécialisées.
Il peut exercer ses activités en association avec d'autres (en autant que le nombre total de travailleurs ne dépasse pas cinq personnes), à son propre compte ou par le biais d'une société incorporée.
Il est indépendant financièrement de ses clients, même s'il choisit parfois de n'exécuter que les contrats fournis par un seul payeur.
Recommandation 1.
Le gouvernement du Québec devrait adopter une approche constante et uniforme à l'égard des statuts des différents travailleurs autonomes basées sur le concept du risque économique.
Travailleur autonome avec un seul client
Pour établir le statut d'un travailleur autonome, le Ministère du revenu du Québec utilise actuellement la position contenue dans le bulletin RRQ 1-1/R2 de la Loi sur le régime des rentes du Québec (L.R.Q., chap. R-9), mis à jour en octobre 1998. Ce bulletin tient compte de 6 critères non exhaustifs pour déterminer le statut de salarié ou de travailleur autonome dont le principal est la subordination effective du travail.
En pratique et malgré ce qu'en dit le bulletin d'interprétation, le travailleur autonome avec un seul client est souvent considéré par le Ministère du Revenu comme un employé et non comme un entrepreneur exploitant une entreprise. Cette situation découle du fait que les responsables à Revenu Québec donnent la prépondérance au critère de subordination et évaluent par la suite l'ensemble des 5 autres critères.
Tel que nous l'avons démontré dans la section précédente, ce n'est pourtant pas le nombre de clients qui distingue un travailleur autonome d'un employé, c'est le risque économique : la possibilité de faire des profits ou des pertes.
Recommandation 2.
Le nombre de clients ne devrait pas être un critère déterminant pour refuser le statut de travailleur autonome.
Déduction de frais de bureau à domicile
Le régime québécois actuel pose deux problèmes au niveau des bureaux à domicile :
-
Seulement 50% des frais de bureau à la maison sont déductibles alors que la loi fédérale permet la totalité de la déduction.
-
L'exigence que la ou les pièces pour lesquelles une déduction est demandée soient exclusivement consacrées au travail.
La limitation des déductions des frais de bureau est inéquitable pour les travailleurs autonomes. Toute entreprise a le droit de déduire 100% de ses frais de bureau, incluant le travailleur autonome qui loue un bureau à l'extérieur de son domicile.
Les règles de déduction d'un local à domicile impliquaient déjà, avant l'introduction de cette mesure, que seule la proportion des dépenses du domicile relative à la superficie utilisée pour le travail est admissible en dépense.
Même si un bureau à la maison est moins cher qu'un bureau à l'extérieur, il occasionne néanmoins des frais supplémentaires. Par exemple, le travailleur autonome devra louer un logement avec une pièce de plus pour son bureau, ou, s'il est propriétaire, aménager une pièce spécialement pour son espace de travail. Les travailleurs autonomes avec un bureau à la maison sont souvent ceux qui génèrent un plus faible revenu et qui ne peuvent se permettre la location d'un local extérieur. Pourquoi les pénaliser davantage?
Recommandation 3.
Lorsque le bureau est à la maison, 100% des frais encourus devraient être déductibles.
Le ministère du Revenu exige, pour permettre la déduction d'un bureau à domicile, que la ou les pièces pour lesquelles une déduction est demandée soient exclusivement consacrées au travail. Cette règle ne tient pas compte des réalités du travail autonome.
Le bureau de plusieurs travailleurs autonomes occupe une partie d'une pièce de leur domicile, parfois le salon, parfois la chambre à coucher. Il existe plusieurs modèles de mobilier de bureau qui permettent de cacher le bureau quand il est pas utilisé, ce qui permet la double utilisation d'une pièce.
Si les frais d'utilisation de l'automobile peuvent être déduits au pro-rata de son utilisation pour le travail, pourquoi pas le domicile?
Recommandation 4.
L'exigence que la ou les pièces pour lesquelles une déduction est demandée soient exclusivement consacrées au travail devrait être supprimée. La déduction d'un bureau à domicile devrait être au pro-rata de son utilisation pour le travail, comme l'automobile.
Frais de maintien de plus d'un bureau
Selon le régime fiscal actuel, pour la plupart des entreprises qui maintiennent des succursales en plus de leur établissement principal, les frais afférents à ces espaces supplémentaires sont pleinement déductibles d'impôt puisqu'ils font partie des dépenses engagées dans le but de gagner un revenu d'entreprise.
Par contre, les frais d'un deuxième établissement d'un travailleur autonome non-incorporé ne sont pas automatiquement déductibles d'impôt, particulièrement dans le cas où un des locaux est situé à domicile.
Recommandation 5.
Un travailleur autonome dont l'entreprise n'est pas incorporée devrait pouvoir déduire les frais de tous les locaux qu'il utilise pour exercer son entreprise, incluant une partie de sa résidence personnelle.
Cotisation en double au RRQ
Actuellement, les travailleurs autonomes paient en double les cotisations à la RRQ : la part de l'employé et celle de l'employeur. Or, les augmentations prévues des taux de cotisation viendront augmenter encore l'importance de cette charge pour les travailleurs autonomes.
Tableau 1 - Cotisation sur des gains de 35 800 $ (dollars constants) [1]
Année | Cotisations des employés | Cotisations des travailleurs autonomes |
1997 | 969$ | 1938$ |
1998 | 1035 | 2070 |
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