À l’exception des établissements de santé, les centres-villes sont certainement les endroits où la pandémie aura causé le plus de bouleversements. La bourrasque n’est pas terminée, mais l’accalmie nous permet aujourd’hui de réfléchir à la façon dont nous allons reconstruire ces espaces au cœur de la vie urbaine.
Pour Montréal, le centre-ville prend une importance stratégique bien au-delà des limites de la ville. C’est tout un pan de l’économie, de la restauration, de la vie culturelle, de la présence universitaire, du commerce et du tourisme de la métropole et du Québec qui risque de déraper et d’enclencher une dévitalisation dramatique si rien n’est tenté.
Les lignes qui suivent s’inspirent de l’étude Impacts de la COVID-19 sur les centres-villes des six villes les plus importantes au Canada, effectuée par les équipes de PwC Canada pour le compte de la Ville de Montréal. On y dresse l’état des lieux de Toronto, Montréal, Calgary, Ottawa, Edmonton et Vancouver, en plus de soumettre des pistes de réflexion pour régénérer ces espaces stratégiques.
Les cinq points sensibles
Cinq manifestations, engendrées ou attisées par la pandémie, risquent d’avoir un impact considérable sur les centres-villes dans un avenir plus ou moins rapproché : le télétravail, la suppression des déplacements internationaux, le commerce en ligne, les modes de consommation de la culture et l’enseignement en ligne. Comment le tout s’articulera-t-il pour le centre-ville de Montréal?
1. Le télétravail
Le télétravail se poursuivra après la pandémie. Pour les employeurs, l’enjeu consistera à déterminer quelle place le phénomène occupera une fois la COVID-19 derrière nous. Puisque la nature des activités des locataires du centre-ville restera compatible avec le télétravail, certaines entreprises seront tentées d’instaurer des modes hybrides de présence sur les lieux de travail. Force est de constater que les temps de déplacement et de fluidité de la circulation pourraient également constituer un frein au retour des employés. Les problèmes de circulation sont connus à Montréal depuis plusieurs années.
2. Les déplacements internationaux
Le centre-ville de Montréal demeure la première destination touristique du Québec et accueille 84 % des passagers internationaux de l’est du pays. Ce n’est pas rien!
3. Le commerce en ligne
La concurrence des grands centres commerciaux des banlieues met aussi à mal la vitalité des commerces du centre-ville de Montréal. Le Quartier DIX30 en est un bon exemple.
4. Les modes de consommation de la culture
Les plateformes en ligne font preuve d’une grande robustesse. Montréal affiche une forte concentration d’établissements culturels dans son centre-ville et ceux qui ont survécu à la pandémie pourront espérer un retour de leur clientèle.
5. Le téléenseignement
À l’instar du télétravail, l’enseignement en ligne s’est considérablement développé pendant la pandémie. Montréal attire plus de 40 000 étudiants étrangers chaque année. Elle est aussi perçue comme meilleure ville étudiante d’Amérique du Nord, en plus de figurer aux premiers rangs du classement mondial .
Le point de bascule de Montréal
Si les efforts groupés des entreprises et des gouvernements n’arrivent pas à inverser ces cinq tendances observées, la situation enclenchera une spirale de dévitalisation. Sans vouloir dramatiser, le centre-ville de Montréal pourrait connaître un point de bascule entre le déclin et la renaissance.
Les solutions se trouvent sans doute dans la nature même des centres-villes. Ce sont des secteurs névralgiques capables de surprendre par la force du nombre, le potentiel des regroupements, la concentration des talents et la vigueur des innovations dans plusieurs domaines.
Le rapport propose sept axes de réflexion susceptibles d’éclairer les décideurs qui auront à « soigner le patient » prochainement.
1. Réinventer le centre-ville
- En diminuant la dépendance à l’automobile et en favorisant la piétonnisation des corridors existants et l’offre de voies cyclables;
- En misant sur la construction d’espaces publics à vocation hivernale et en repensant le positionnement en tant que destination commerciale;
- En favorisant le verdissement partout où c’est possible;
- En développant davantage de transports en commun reliant les quartiers périphériques et les banlieues;
- En instaurant des programmes de reconversion d’immeubles pour les adapter aux nouveaux besoins du marché sans changer leur vocation;
- En augmentant l’offre de logements sociaux;
- En créant des zones résidentielles s’inspirant du modèle de la « ville à 15 minutes ».
2. Miser sur la résilience
- En établissant des diagnostics précis;
- En planifiant des actions visant la continuité des activités économiques;
- En incluant des critères de résilience dans l’acceptation des nouveaux projets.
3. Accélérer la mise en œuvre de la ville intelligente
- En concevant un cadre législatif clair pour assurer la sécurité des données;
- En soutenant financièrement la transformation numérique, dont la 5G;
- En déployant une campagne d’information sur le concept de la ville intelligente.
4. Renforcer le rôle des établissements d’enseignement supérieur
- En bonifiant les budgets des centres de recherche qui œuvrent dans des secteurs stratégiques;
- En consolidant la relation entre les entreprises et les centres de recherche appliquée;
- En donnant aux collèges et aux universités le mandat de développer des programmes de formation destinés à la requalification de la main-d’œuvre;
- En impliquant davantage les établissements dans le développement de la ville intelligente.
5. Offrir plus d’autonomie budgétaire à Montréal
- En réclamant de nouvelles ressources financières des gouvernements supérieurs;
- En misant davantage sur l’écofiscalité appliquée selon le principe de l’utilisateur-payeur;
- En réduisant les restrictions sur les déficits de la Ville;
- En reconnaissant le centre-ville comme « supergrappe » de l’économie québécoise.
6. Assurer un soutien aux secteurs durables
- En identifiant les éléments clés qui assureront la revitalisation du centre-ville;
- En apportant un soutien financier aux initiatives stimulant le tourisme local et national;
- En soutenant les projets qui renforceront l’image du centre-ville de Montréal à l’international;
- En encourageant le développement d’une destination touristique exemplaire;
- En soutenant l’écosystème d’innovation et de création dans le centre-ville.
7. Encourager le retour des visiteurs par les transports publics et actifs
- En instaurant un protocole sanitaire clair, robuste et éprouvé scientifiquement pour le transport en commun;
- En faisant la démonstration auprès de la société civile que le gouvernement, les entreprises et les opérateurs de transport en commun travaillent à éliminer les silos et ainsi à faciliter un retour à la vie normale.
Redonner le goût du centre-ville
En fin de compte, les décideurs doivent rapidement trouver les façons de redonner « le goût du centre-ville » aux travailleurs, aux clients des commerces, aux visiteurs, aux quelque 60 000 résidents, aux étudiants d’ici et d’ailleurs, aux amateurs d’art et de culture et aux citoyennes et citoyens du Grand Montréal et du Québec.
Plusieurs centres-villes dans le monde affichent un style, une signature, une atmosphère particulière, de jour comme de nuit. Barcelone et Copenhague, par exemple, ont des caractères typés, francs, uniques. Montréal n’est pas en reste avec son caractère « améropéen », qui fait l’envie de plusieurs.
Pour ma part, je demeure convaincu que le centre-ville de Montréal renaîtra de façon différente, comme nous tous d’ailleurs, et pour le mieux!
Nochane Rousseau
Associé directeur, Grand Montréal, PwC Canada