Speech given by Mr. Alain Bouchard
Président du conseil, président et chef de la direction, Alimentation Couche-Tard inc.
(as delivered)
March 14, 2000
Distingué(e)s invité(e)s, Madame, Monsieur,
C'est avec plaisir que j'ai accepté cette invitation de la Chambre de Commerce du Grand Montréal et c'est un honneur pour moi de venir vous parler d'un commerce qui a beaucoup d'importance dans la vie de chacun mais qui n'a pas une image très séduisante dans le monde des affaires. Pourtant, qui d'entre vous n'a jamais prononcé cette phrase : «As-tu besoin de "que'que chose" au dépanneur ?»
Nous sommes un commerce du quotidien qui effectue 9 millions de transactions par semaine au Canada dans notre réseau. 3 300 000 au Québec seulement ... à chaque semaine !
Certains clients ne font que passer et, rapidement, prennent ce dont ils ont besoin. Mais, pour un grand nombre d'entre eux, nous sommes devenus le point de ralliement des quartiers. Ils viennent chez nous prendre un café, racontent leurs petites histoires, leurs frustrations souvent. C'est à proximité de leurs lieux de résidence. Nos gérants et gérantes sont devenus les curés du nouveau millénaire ; à l'occasion ils sont la seule oreille du jour de certains et servent souvent de soupape de sécurité et évitent les drames. Ils pourraient écrire des livres sur les états d'âme de nos clients.
En plus d'être des commerçants, nous constatons donc que notre rôle est aussi d'être une présence rassurante parce que nous sommes à proximité de nos clients.
En 1980, j'ai choisi de relever le défi de bâtir une chaîne de dépanneurs. J'avais développé des sites chez Perrette et Provi-Soir et j'opérais des dépanneurs mais je savais que ce que j'aime faire avec passion c'est de bâtir et de développer. Je savais aussi que je n'avais pas envie de seulement opérer des magasins. Il me restait à décider si je voulais le faire seul ou avec des partenaires. J'ai rapidement conclu qu'il me fallait des partenaires. Je suis un spécialiste de la vue d'ensemble et du développement, je devais m'entourer d'autres spécialistes : Jacques D'Amours, vice-président administration - qui était avec moi chez Perrette - est devenu, en 1980, mon premier associé ; Richard Fortin, l'architecte financier, a joint nos rangs en 1982 et Réal Plourde, aux opérations, a suivi en 1984. L'équipe était formée et, près de 20 ans plus tard, les partenaires se sont multipliés mais les 4 fondateurs sont toujours là.
En 1985, nous avons conclu notre première acquisition importante : Couche-Tard, une dizaine de magasins de Québec. Pour nous donner une base et, surtout, un nom. Comme ce réseau n'avait pas de dettes, nous avons pu hypothéquer presque la totalité de notre achat. On avait acquis tout cela avec 20 000$ de fonds propres. Un excellent rapport qualité/prix ! En revenant de Québec, où on avait complété la transaction, on riait comme des adolescents. C'est la fois où la route Québec/Montréal m'a semblé la plus courte. !
En 87, j'ai téléphoné à Jacques Maltais, le président de Métro de l'époque, en sachant que l'opération de ses dépanneurs ne lui rapportait pas ce qu'il espérait. Je lui ai proposé un deal gagnant/ gagnant : tu continues de nous approvisionner et tu vas cesser de perdre de l'argent Deal qu'il a accepté et Métro ne regrette pas son choix : Les actions, qui ont été payées moins de 6M$, valent aujourd'hui plus de 45M. Nous passions alors à 116 dépanneurs.
Jusqu'ici, tout va comme sur des roulettes. On développe tant des sites que notre expertise. Et l'entreprise progresse. Mais les années "dures" sont à nos portes : La contrebande de cigarettes, l'implantation de la TPS et de la TVQ, la récession. Même ce cauchemar ne nous enlevait pas notre désir d'entreprendre. On s'accommodait de la situation parce qu'on savait que notre commerce conservait sa raison d'être. On a continué le développement. En 93, Mac's / La Maisonnée - une soixantaine de magasins - était sous la protection de la Loi de la faillite et nous avions la capacité d'absorber cette transaction. On a acheté, à bon prix, et encore mieux positionné notre entreprise.
Depuis de nombreuses années, je communiquais, chaque année, avec Monsieur Bazos, le propriétaire de Perrette pour savoir quand il me vendrait son commerce. Il n'était jamais prêt. La baisse des taxes sur le tabac est survenue trop tard pour eux. Le 24 juin 1994, nous avons pris possession des 86 dépanneurs alors qu'un syndic gérait la compagnie. Nous opérions alors 304 magasins, tous au Québec.
La plupart du temps, en affaires bien sûr, on fait des mariages de raison. En 97, j'ai fait un mariage de passion. Provi-Soir, moi, je les haïssais tous les jours ... et en même temps je les aimais, partagé entre mon ancien sentiment d'appartenance - y ayant travaillé - et ma haine du hibou. Une vraie histoire de passion. Je l'ai acheté. Les dépanneurs Winks, en Ontario et en Alberta étaient dans le panier de la mariée. Cette transaction nous ouvrait les portes de l'Ontario et portait le nombre de nos magasins à 630.
Aujourd'hui, j'ai adopté le hibou et le répands à travers le Canada.
Et, en 99, on a fini par acheter Silcorp. En 96, nous avions fait une première tentative d'OPA qui a été décrite comme "hostile". Je ne dirais pas hostile, je la qualifierais plutôt de difficile. De cette première OPA, nous avons beaucoup appris. De difficile, l'opération aurait pu devenir hostile.
Nous avions l'opportunité d'acquérir Provi-Soir. J'ai succombé à ma passion. Et, quand nous sommes revenus en 99, la transaction s'est faite de façon amicale et nous a permis une percée dans l'Ouest canadien en plus de porter le nombre de nos magasins à 1610.
Vous pouvez juger du succès de l'intégration de toutes ces acquisitions puisque les résultats financiers du 3è trimestre sont publiés dans les médias aujourd'hui.
Nous sommes très fiers de ces résultats.
Résultats obtenus malgré le fait que certains politiciens et fonctionnaires nous mettent régulièrement des bâtons dans les roues et limitent notre droit de faire du commerce. Ils nous demandent d'être des policiers, des percepteurs de taxes, des objecteurs de conscience. Ils nous demandent aussi d'éduquer leurs enfants.
Prenons l'exemple des billets de loterie : Le législateur provincial vient de nous concocter une loi massue - la Loi 84 - pour contrer la vente des billets de loterie aux mineurs. Moins de 1% des billets de loterie sont vendus à des mineurs et la plupart du temps ils les achètent pour et avec l'argent de leurs parents. Un bazooka pour tuer une mouche ! Et cette mesure ne règle pas le cas du drame des joueurs compulsifs fréquentant les casinos et machines à vidéo poker opérés par ce même état.
À Ottawa, on veut décorer d'images hideuses et augmenter les taxes sur un produit LÉGAL, sous prétexte que cela dégoûterait les jeunes de fumer. Tout le monde est pour la vertu. Mais les extravagances de vertu, moi j'en ai assez. Le côté pervers de tout ça, c'est que ça va ramener la contrebande. On ne peut faire semblant de ne pas savoir que 30% de la population, bon an mal an, fume.
Savez-vous que je n'ai pas le droit de vendre des cigarettes aux mineurs ... mais que, eux, ils ont le droit de les fumer ?
Au-delà de mes intérêts dans ce dossier, nous évitons un vrai débat de société et subissons le résultat des rapports de force de lobbyistes. La place occupée par les groupes de pression est démesurée. Il est du droit du gouvernement d'aviser les citoyens des dangers qu'ils peuvent encourir à fumer des cigarettes, à jouer au casino ou à faire l'amour sans condom. Il est de leur intérêt de percevoir les taxes de ces produits. Mais ils ne peuvent voter des lois dictées par les groupes de pression de tout acabit, lois qui ne servent à rien sauf à redorer leur image et restreindre notre droit au commerce libre. Mon exaspération est grande : On en a marre, nous les dépanneurs, d'être les boucs émissaires d'une société qui ne s'assume que par la législation de l'hypocrisie et qui nous empêche d'accomplir notre rôle de commerces de quartiers.
Ceci étant dit, ces contrariétés ne font que faire croître mon désir d'entreprendre, chaque jour !
Après notre mariage de passion, en 97, il était évident que notre concept était rendu à maturité. On avait les plus beaux dépanneurs en Amérique, mais il fallait changer. Nous constations que les habitudes de consommation se modifiaient et, en plus, qu'elles différaient d'un quartier à l'autre. Toute l'équipe était d'accord pour procéder à un virage mais personne n'avait le temps - et surtout la distance nécessaire - pour y parvenir. Nous avons alors contacté SAINE MARKETING pour revoir le concept mais en convenant que nous serions présents à toutes les réunions hebdomadaires.
Par l'analyse de chacune des catégories de produits que nous vendons (par exemple, les produits laitiers, les surgelés, les boissons gazeuses
), nous avons pu déterminer à quelle hauteur chaque catégorie contribue à notre chiffre d'affaires et si on veut continuer la vente de cette catégorie de produits. Parallèlement, SAINE a organisé des focus group ainsi que des sondages téléphoniques. J'ai assisté au premier focus group, pour voir. J'ai tellement aimé ... non, je n'ai pas acheté Saine Marketing mais j'ai assisté à tous les autres. C'est très instructif de voir les réactions des clients. Une heure suffit pour voir ce qui aurait demandé plusieurs heures de présence en magasins.
Et nous avons tiré des conclusions : Les gens veulent des produits frais, mieux présentés, à valeur ajoutée. Il fallait aussi changer la perception du concept en créant une ambiance. Et, surtout, nous avons pu valider ce que nous avions constaté instinctivement : Les besoins du consommateur changent d'un quartier à l'autre.
Cela nous a permis de mettre sur pied le concept de gestion STRATÉGIE 2000 : une approche "micro-marché". L'analyse des besoins magasin par magasin. Un constant work in progress. Certains magasins sont situés dans des quartiers où les gens ne font qu'entrer, acheter et sortir. Dans d'autres, ils restent. Prennent un café. Nous devons alors aménager un endroit confortable. Fini le dépanneur type. Il faut répondre aux besoins de chaque localisation. Et STRATÉGIE 2000 est l'outil qui nous permet de le faire. Silcorp avait commencé à implanter le concept STORE 2000 lorsque nous en avons fait l'acquisition. Nous avons importé de leur expertise la méthode qui, amalgamée à la nôtre, donne un concept beaucoup plus structuré, moins empirique.
Bien sûr, l'application de ce concept est plus compliquée que de construire un magasin type et de le reproduire. Mais il est beaucoup plus rentable et cimente le sentiment d'appartenance des employés. Ce n'est plus très à la mode l'appartenance dans les entreprises. Au point que certaines revues nous apprenaient, en début d'année, que l'appartenance à l'entreprise, c'est out. Tant pis. Je vais tout faire pour ne pas être à la mode.
Institutionnaliser le changement continu permet de conserver les échanges informels, réguliers et ponctuels et favorise l'interaction entre nos gens à tous les niveaux et exige la formation continue. À cet effet, nous investissons 3,9% de notre masse salariale à ce titre. Nous appliquons les principes suivants pour obtenir du succès avec notre personnel : Nous les respectons, nous les formons et nous leur faisons confiance.
L'implantation de ce concept est un des outils qui favorise l'intégration harmonieuse de nos acquisitions. En effet, nous sommes la seule entreprise de l'industrie de l'accommodation en Amérique du Nord qui a réussi à faire tant d'acquisitions, plus ou moins hétéroclites, et à les intégrer avec efficacité.
Cette expérience nous convainc de regarder sérieusement le marché américain. Nous avons l'expertise et le marché américain c'est 119 000 magasins. Une industrie de 164 Milliards de dollars, US évidemment. Et le plus gros joueur ne contrôle que 6% du marché. Autre élément non négligeable, la flambée des prix dans l'industrie des télécommunications rend les prix abordables dans notre marché.
Nous possédons la force d'une équipe de gestionnaires compétents qui a fait preuve d'adaptabilité, élément essentiel dans l'actuel monde des affaires.
Et surtout ... on aime ça ! Mes partenaires et moi sommes là pour longtemps. Et nous savons que, pour longtemps aussi, vous direz encore : «As-tu besoin de "que'que chose" au dépanneur ?»