Qu’ils soient à la tête d’un gouvernement ou d’une entreprise, les leaders doivent affronter d’énormes défis lorsque surviennent les tempêtes. Sans même connaître toutes les données d’un problème, ils doivent prendre rapidement des décisions complexes. Quelles sont les qualités des leaders qui savent surmonter les crises ?
Au printemps 2020, la COVID-19 a frappé le Québec et de très nombreux pays dans le monde : établissements d’enseignement et commerces non essentiels fermés, télétravail pour des masses d’employés et de cadres, population confinée à la maison… En temps de crise comme en temps de guerre, la réaction humaine instinctive consiste bien souvent à se tourner vers un leader, un être providentiel qui montrera le chemin à suivre et qui donnera des directives. Winston Churchill et le général de Gaulle, durant la Deuxième Guerre mondiale, en sont de bons exemples. Plus modestement et à une autre échelle, on se souviendra du tandem formé par Lucien Bouchard, alors premier ministre du Québec, et par André Caillé, président d’Hydro-Québec à l’époque, durant la crise du verglas de janvier 1998.
Mais au-delà de ces modèles du passé, qu’en est-il des chefs d’aujourd’hui – politiciens, patrons de grandes ou de petites entreprises, gestionnaires – qui se démènent pour garder le vaisseau à flot? Quelles qualités, quelles habiletés et quelles compétences faut-il avoir pour mobiliser ses troupes?
Un leadership éclairé
Le bon leader en temps de crise n’est pas celui qui trône au sommet de la pyramide décisionnelle, concentrant tous les pouvoirs entre ses mains, loin de là ! Selon Thierry Pauchant, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal et auteur de plusieurs ouvrages1, la meilleure formule réside plutôt dans la cellule de crise : « Composée de personnes provenant de plusieurs horizons, elle donne la diversité de points de vue nécessaire pour pouvoir prendre des décisions éclairées », explique-t-il. Une fois que la cellule a analysé la situation et proposé des solutions, le leader intervient pour trancher et pour choisir la direction à prendre. Il devient dès lors un porte-parole. « Mais encore faut-il choisir le bon ! », indique M. Pauchant. Car il devra non seulement inspirer confiance et répondre aux questions mais aussi faire preuve d’empathie et de compassion devant la souffrance d’autrui.
« Le meilleur leader est celui qui, d’abord, associe des experts de différentes disciplines – par exemple la santé, l’économie, etc. – puis qui se positionne comme un arbitre. C’est un modèle rassurant. Dans les périodes difficiles, les gens ont besoin d’une direction claire, pas de débats ni de conflits », affirme Taïeb Hafsi, professeur titulaire de la Chaire de management – stratégie et société de HEC Montréal.
Le bon leader en temps de crise est aussi celui qui se montre soucieux du bien-être des autres et qui fait preuve d’intelligence émotionnelle, estime Céline Bareil, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. C’est ce qu’on appelle le leadership serviteur, ou
servant leadership. « Le leader de ce type se préoccupe de la population et comprend ce qu’elle traverse. Il fait preuve d’un leadership bienveillant, s’adapte rapidement aux nouvelles réalités et constitue un modèle positif qu’on a envie de suivre », renchérit-elle.
Optimiste sans être irréaliste, ce leader est rassurant et s’entoure d’une équipe qui l’alimente en faits et en données probantes, ce qui lui confère une solide crédibilité. Il sait aussi écouter les diverses opinions, ce qui l’aide à construire un discours cohérent et qui fait sens. « En gestion de crise, il ne faut pas tergiverser. Après avoir consulté son équipe, le leader doit être en mesure de prendre une décision finale », précise la professeure.
Toutefois, prendre des décisions éclairées en situation d’urgence et de confusion n’est certes pas chose facile, relève Taïeb Hafsi. « À cause de l’incertitude, ceux qui ont agi les premiers – les autorités chinoises dans le cas de la pandémie de coronavirus – ont beaucoup influé sur les mesures adoptées par les autres pays touchés. C’est un phénomène mimétique, où les réactions initiales ont eu un effet marqué sur la norme comportementale des autres. La Chine a pris des mesures draconiennes, qui ont impressionné et effrayé, et la plupart des pays lui ont emboîté le pas sans nécessairement faire d’analyse stratégique », note-t-il. Dans un tel contexte, les grandes qualités du leader sont donc le courage et la capacité de garder la tête froide pour ne pas laisser les émotions – notamment la peur, qu’il s’agisse de la sienne ou de celle de la population – peser sur les décisions.
De plus, lorsqu’on se trouve en territoire inconnu, il est préférable non seulement d’avancer à petits pas mais aussi de tenir compte de toutes les dimensions du problème. Dans le cas de la COVID-19, il a fallu réfléchir aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise. « Pour gérer un système complexe, on peut appliquer deux méthodes. Soit on fait des choix radicaux – comme en cas de guerre ou de catastrophe – en centralisant les pouvoirs et en obligeant tout le monde à obéir, soit on applique des décisions incrémentales, qui permettent d’apprendre, de corriger le tir et de s’adapter. Au Québec, on a opté pour une combinaison de ces deux approches », poursuit Taïeb Hafsi.
Les étapes de la crise
En prenant du recul, on constate que le leader doit aussi franchir des étapes successives pendant une crise. On en compte généralement cinq, indique Joseph Facal, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal. « Lors de la première phase, il faut rapidement donner du sens, donc déterminer la nature même de la crise. Ensuite, le leader doit prendre des décisions et les coordonner, puis, à la troisième étape, il doit élaborer une signification. Autrement dit, il doit formuler un récit persuasif, manipuler les symboles, etc. C’est un équilibre délicat à trouver : il faut dire la vérité, mais en sachant qu’on ne peut pas nécessaire- ment tout dire », précise Joseph Facal.
Quatrième étape : surmonter la crise. « Les autorités décident qu’on revient à la normale. Dans le cas de la COVID-19, ce chemin est semé d’embûches : si on avance trop vite, on risque une nouvelle éclosion, mais si on attend trop, la population va s’impatienter et suivra moins les consignes. La prudence est de mise afin de trouver le bon dosage », prévient Joseph Facal. Enfin, cinquième et dernière étape, les leçons à tirer de la crise, afin de bien se préparer… à la suivante ! « C’est le moment de rappeler les bons coups et la façon dont on a surmonté les difficultés, car cela contribue à bâtir un sentiment d’efficacité collective », souligne Céline Bareil.
Mobiliser et se ressourcer
Tout au long de ce processus, afin que les décisions se traduisent en gestes concrets, il faut que les équipes demeurent mobilisées. Pour y parvenir, Thierry Pauchant recommande de leur donner du pouvoir et des responsabilités : « Il est essentiel qu’elles se sentent comme des parties prenantes dans la recherche de solutions. C’est la technique qu’applique le gouvernement du Québec. De l’autre côté de la frontière, Donald Trump, lui, mobilise par l’autoritarisme, par la menace et par la peur », fait-il remarquer.
Pour Céline Bareil, la mobilisation repose sur une bonne écoute ainsi que sur des communications fréquentes et cohérentes : « Même lorsqu’il doit prendre des décisions difficiles, le leader explique les raisons pour lesquelles il le fait, ce qui favorise l’adhésion. Il exprime aussi sa gratitude et sa fierté, il souligne les efforts accomplis. Nous en avons un bon exemple quand le premier ministre du Québec remercie régulièrement nos anges gardiens », précise-t-elle.
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